Bolt, la foudre

Une des traductions de son nom annonce le spectacle. Bolt est bien un éclair, une brève et vive lueur sinueuse et ramifiée qui éclate entre deux points d’une piste d’athlétisme. Qui dure couramment moins de 10 secondes sur 100 m ou moins de 20 secondes sur 200 m. Et paradoxalement, moins longtemps il court, plus nous avons le temps de l’admirer. Car pendant 4 à 5 secondes d’extase, il s’éloigne inexorablement de la concurrence, après 50 ou 60 mètres de course sur l’hectomètre. Et nous ne voyons plus que lui, droit et fier, épaules relâchées, il déroule sa gigantesque foulée, fruit de son 1,95 m, lève harmonieusement ses genoux pour s’échapper. Il devient guépard, félin au corps haut sur pattes, très rapide à la course. Puissance énorme, chaloupée, qui émerge des reins. L’effort paraît alors facile et le mouvement majestueux. Il multiplie la fréquence de la foulée par son amplitude pour un résultat dépassant les 44 km/h. À couper le souffle.

Je préfère bien naturellement l’athlète qui pousse son effort jusqu’au bout pour chasser le record, pour écraser les adversaires, à celui qui déroule nonchalamment ses dernières enjambées en contrôlant la course par de longs coups d’œil périphériques en direction des battus et affichant une supériorité aussi flagrante qu’insolente. C’est mon image préférée du champion qui en Suisse va s’attaquer à la légende. Pour profiter de sa forme actuelle, pour doper ses statistiques, pour enfoncer ses illustres prédécesseurs. Pour encore plus écrire l’histoire de l’athlétisme en majuscule. Pour battre les temps canon d’un autre temps. Car si les records mondiaux, les siens, peuvent lui résister, il sait que les pistes suisses sont favorables aux exploits des sprinters. Il voudra dépasser sa marque de 2009  sur 200 m à Lausanne (19’59). Et selon moi, s’attaquer au record du meeting du 100 m au Letzigrund pour reléguer son compatriote Asafa Powell et son temps de 9’ 77, qui fut record mondial à Zurich, dans le domaine des archives, banaliser le record de Carl Lewis en 9’ 93 et celui d’Armin Hary en 10s avec chronométrage manuel.

Les facéties gestuelles d’Usain m’ont longtemps agacé. J’ai cherché des synonymes à ses singeries. J’ai trouvé bouffonnerie, clownerie et pitrerie. Avant de finir par m’habituer. Et de presque apprécier la créativité de ses gesticulations et de ses mimiques. Sa pose de vainqueur, qu’il faisait déjà enfant, est devenue un symbole universel de réussite sportive. Une marque déposée. Un sceau immobile. Une statue pour un musée de cire. Jambes écartées, buste penché en arrière à la manière d’un archer qui envoie sa flèche vers l’infini. Autant l’après-course séduit, autant l’avant course interpelle. Comment fait-il donc pour mobiliser son énergie de compétiteur en dédiant ses dernières secondes à la foule avant le coup de pistolet du départ ?

Glen Mills, son entraîneur, donne la réponse : « Usain possède une capacité extrême à trouver sa concentration maximum. En quelques secondes, il peut totalement se préparer à l’affrontement ». Dans le documentaire de Gaël Leiblang  « Usain Bolt, l’homme le plus rapide du monde », la ronde et prégnante présence du mentor, le respect mutuel et la confiance inconditionnelle qui unissent l’athlète à son guide offrent quelques clés de la réussite du bolide. Mills accepte les moments désordonnés de l’extraverti Usain hors piste, tout en cherchant à les maîtriser et devient intransigeant sur le terrain d’entraînement pour pousser Bolt à constamment se dépasser. Voir la légende, accroupie à quatre pattes, en train de vomir, après une série de sprints intenses, rappelle qu’aucune prouesse sportive n’est possible sans volonté, sans courage et sans sacrifice.

En Helvétie, Usain va faire fructifier son travail acharné pour attraper les étoiles et décrocher la lune. N’empêche que mon rêve ultime ne sera réalisé que lorsqu’il aura rencontré Rudisha sur 400 m. À la Pontaise ou au Letzigrund, autour des pelouses que j’ai si souvent foulées ?

Comment battre l’Espagne ?

Le football est un sport qui se joue à 11 contre 11, qui dure 2 X 45 minutes, plus les minutes de temps additionnel. Et qu’il faut gagner en marquant un but de plus que l’adversaire. Ou en recevant un de moins. Selon votre caractère, votre éducation, vos capacités et vos idées. Entre autres. En utilisant tous les moyens autorisés par les lois du jeu et l’interprétation qu’en fait l’arbitre.

Le kick and rush, (jeu long et course derrière le ballon) faisant avant tout appel à la force et au courage, m’a toujours répugné. Probablement parce que je n’aurais jamais pu m’illustrer dans un style privilégiant la débauche d’énergie plutôt que la subtilité. Mon Graal (celui que l’on recherche et que l’on ne trouve jamais) de mon football (technique, intelligence et possession du ballon) a été dépassé par l’Espagne. Cela m’indispose. Parce que finalement le cerveau peut pousser au calcul. Lorsque dans un match de l’Euro, les rouges et bleus réussissent 150 passes de plus que les 600 de moyenne effectuées en Afrique du Sud, en tirant moins souvent au but que 2 ans plus tôt, cela signifie que ses intentions ont changé. La possession de la sphère devient obsession. Qui exclut la prise de risque, le déchet et la générosité qui enflamme le spectacle. Qui paralyse l’adversaire et la rencontre. Le style devient manie, idée fixe, maladie, maniaquerie.

Le football mondial et européen est devenu un vaste laboratoire de recherche. Pour battre l’Espagne ou Barcelone. Pour trouver LA solution. Le contrepoison absolu. La démarche de Prandelli en finale et lors du premier affrontement m’a séduit. Elle a permis le spectacle. Donné un espoir de victoire plutôt qu’un refus de défaite. En multipliant les tentatives de tir au point de permettre à Casillas de devenir un des héros de la finale. Face à l’absence d’attaquant ibère, l’Italie a essayé de jouer haut (idée que je préconisais dans une précédente chronique). Au point d’être battu dans la profondeur par Fabregas en course longue à la lutte avec Chiellini (blessé) lors du 1-0. Et en contre sur une attaque de 60 mètres terminée par le latéral supersonique Alba pour conclure le 2-0. Au point d’être à égalité de possession du cuir à ce moment fatal du match.

Pour contrer le pressing étouffant et les surnombres défensifs habituels des Espagnols, Cesare avait décidé, comme lors de la première confrontation, de trouver rapidement ses deux attaquants Balotelli et Cassano, égoïstes et personnels à la finition (au contraire de l’esprit collectif des joueurs offensifs d’en face) pour couper l’Espagne en deux. Et pour leur apporter un soutien rapide empêchant une bonne réorganisation de la défense. Avec la seule réussite de tirer très souvent au but. Sans marquer. Dans une absence de réalisme italien loin de sa tradition.

Pour gripper la circulation adverse, comme jamais, j’ai senti la volonté d’anticiper la trajectoire de passe en avançant, en osant ouvrir à Iniesta et ses frères des angles de passes favorables dans la profondeur et la possibilité de démontrer la justesse de leur sens du jeu. Pari perdu. Mais bien tenté. Par manque d’efficacité offensive. Parce que,  dans l’autre direction de la joute, la précision millimétrique des passes de Pirlo  est devenue simplement métrique après la récupération du jouet. Parce que l’ouverture du jeu par une pression haute a provoqué un déchet technique inhabituel chez les Barcelonais et Madrilènes réunis, sans offrir de vraies situations de contres. Parce que le score défavorable aux azzuris offrait un confort psychologique que les joueurs de la « roja » n’auraient pas connu en étant menés.

Le football reconnaissant offre une couronne de laurier à Césare Prandelli. Qui nous a permis de nous extasier à nouveau devant le talent d’Iniesta et ses réponses majoritairement justes aux situations de jeu. Nous pouvions à nouveau déguster ce sens collectif jamais bafoué, ces premiers contrôles orientés idoines, ces changements de direction déroutants, ces touchers de balle onctueux, ces visions périphériques en 3D, ces passes judicieuses de Busquets, Xavi, Alonso, Sylva et Fabregas. De Sergio Ramos, qui séduit dans l’axe. D’Alba, un découverte pour moi. Pour nous pâmer devant cette humilité invariable dans le comportement et de la rentrée réussie de l’attaquant Torres. Cette maîtrise constante peut irriter parce qu’elle empêche le débat contradictoire.

Mais comme souvent, nous ne connaitrons jamais la vraie réponse. Est-ce que l’Espagne peut être ennuyeuse parce qu’elle refuse toute prise de risques ou parce que son contradicteur n’essaie même pas de la contrarier ? Et s’oblige à garder le ballon pour la faire sortir de son terrier. L’Italie, qui a terminé le match à 10, a donné une mauvaise réponse en perdant 4-0. Personne ne voudra les imiter. Dommage. La finale a atteint des sommets d’esthétisme. Car une symphonie se joue à 2.

Forza Italia

L’ample drapeau vert, blanc, rouge qui vêt un bout de façade de son habitation n’affiche aucun sentiment de rejet de sa nationalité ou l’envie d’une provocation revancharde. Fabrice est bien français, même si son nom, Favetto-Bon, exhume une origine transalpine, qui n’a pas forcément dû être toujours facile à porter pour une autre génération de sa famille émigrée. Le David de Michel Ange de la Piazza della Signoria, imprimé sur son tablier qu’il porte, avec des proportions adaptées à une illusion d’optique troublante, procède du même humour badin. Les couleurs des brochettes de tomates cerises, mozzarella et basilic soulignent discrètement le clin d’œil organisé pour l’événement, comme les spaghettis all’arrabiata, et la grappa parfumée et chaleureuse. Avec une rasade pour Prandelli et le spectacle offert. Et un verre pour fêter une victoire méritoire contre une Allemagne joueuse et généreuse. Que je ne renierai pas, même dans la déconfiture !

La défaite de 3 – 0 de la squadra azzura en match de préparation à l’Euro contre la Russie, dans une ambiance plombée par de multiples problèmes et polémiques, dont des soupçons de corruption qui pèsent sur le Calcio, paraissait compromettre les chances d’une équipe assaillie de doutes et d’attaques nauséabondes. Comme souvent, les soucis ponctuels ont permis au flamboyant Cesare Prandelli, de créer une unité forte face à l’extérieur et de faire diminuer la pression qui tombe immanquablement sur les favoris. L’Italie n’avait plus rien à perdre, puisque selon l’opinion de la presse, elle ne pouvait rien gagner.

J’ai goûté sa première confrontation du tournoi contre l’Espagne. Qui nous donne quelques indications pour la Finale d’aujourd’hui. Lors d’affrontements par match aller et retour, le premier match influence obligatoirement le second. Par son résultat, bien sûr. Mais aussi par un rapport de force qui s’est créé. Par un impact psychologique. Par une meilleure connaissance de ses possibilités et celles de l’adversaire. J’ai ressenti le nul 1 à 1 comme un score équitable. Chez les Azzuri, j’ai noté du panache, de l’envie, du jeu vers l’avant et une solidité « made in Italia » dans les duels défensifs. J’en ai vu assez pour me dire : « wow ! Il faudra se méfier des spaghettis ». La défense à 3 contre les « toreros » m’a interloqué, interrogé et convaincu. Dans la phase défensive, cette organisation de jeu a permis de serrer les Ibères de très près. À réduire ces intervalles dans lesquels ils se baladent, tournicotent, hypnotisent et étouffent l’adversaire. Habituellement les « castagnettes » dictent le jeu, imposent leur loi, règnent sur les débats. Pas cette fois-là. Viva Italia ! Match il y a eu. Match il y aura, ce soir. Et peut-être même une belle Finale.

Car la « squadra » possède de beaux atouts, que je redécouvre, après leur brève période d’hibernation. Buffon est redevenu le grand gardien qu’il fut, invincible, même avec ses barrettes dans les cheveux. Les défenseurs centraux Chiellini, Bonucci et Barzagli sont dignes de leurs racines. Sangsues, pieuvres. Intransigeants dans les duels au sol et aériens. À qui peut s’ajouter le couteau suisse, le multicarte qui sait tout bien faire, de Rossi. Tour à tour, milieu de terrain ou central. Les latéraux, Abate et Balzaretti sont attirés par les grandes chevauchées offensives, mais savent défendre comme des chiens. Avec l’apport de Maggio, milieu mobile, Prandelli trouve toutes les solutions pour moduler ses schémas tactiques variables. Avec 2 défenseurs centraux ou 3, avec plus ou moins d’esprit offensif sur les côtés, dans une recherche d’équilibre selon les forces et faiblesses du contradicteur. Motta, participe, parfois à cette quête de complémentarité. Marchisio toujours présent et complet dans tous les registres se montre indispensable. Si j’ai un faible pour les coups de patte de Montolivo, je suis sous le charme du danseur étoile Pirlo. Sa légèreté, son style aérien, son élégance font oublier qu’il est le meilleur récupérateur de ballon de la compétition. Sans paraître y toucher, il dépossède son adversaire direct du ballon, médusé par tant d’anticipation et d’intelligence. Quand il conduit le cuir, il rejoint Rivera et Antognoni dans le gotha des maîtres. Son premier contrôle est infaillible, sa passe millimétrée, ses contre-pieds décisifs et son tir meurtrier. Digne du meilleur joueur du tournoi.

Que Cesare tire le maximum des caractériels Cassano et Balotelli (qui a dit que le génie frise la folie ?) démontre le grand sens managérial de Prandelli. Qui préserve ainsi l’incisif buteur Di Natale (34 ans) pour des rentrées en étincelantes. Qu’il en soit récompensé !

Avec ou sans Blanc ?

Le commentateur possède le privilège immense de pouvoir émettre son opinion après les choix des autres. Et il ne s’en prive pas. Après les 2 défaites 2-0 subies par la France contre la Suède et l’Espagne à l’Euro 2012 suivant une série de 23 matchs sans défaite, les mauvaises notes vont tomber. Sur le Président de la Fédération Française de Football, Le Graet, qui n’a pas renouvelé le contrat de Laurent Blanc avant la compétition. Sur le sélectionneur qui a fait jouer un latéral droit en position d’ailier contre la « roja ». Sur les joueurs qui n’ont pas assez tenté sur le terrain. Sur les bavards qui n’ont pas respecté l’omerta du vestiaire qui veut que le linge sale se lave en famille après les défaites. Sur les journalistes qui révèlent les algarades d’après match.

Le sujet primordial concerne le futur de l’entraîneur national. Blanc ? Ou non ? Laurent voudra-t-il continuer son œuvre ? Telle peut être la question. Qui doit offrir une réponse affirmative. Il a redonné tenue et résultats à une équipe de France qui avait indécemment égratigné son image en Afrique du Sud. Il a patiemment construit une équipe, une logique, un football. Il a cru, dès le départ, à certains joueurs qu’il a imposés, bon an, mal an dans la colonne vertébrale de son onze. Lloris dans les buts. Rami et Mexès (qui ne lui a pas rendu, en arrivant avec 5 kilos de trop en Ukraine), M’Vila (qui s’est blessé avant la compétition) et Benzema (qui a souvent marqué en bleu, sauf en ce mois de juin).

La présence fondamentale de ces éléments clés implique un projet de jeu plus technique avec un soin considérable porté à la circulation du ballon, voire à sa conservation immodérée (j’en rêvais, l’Espagne l’a fait et ce n’est pas très joli à voir). Le footballeur vu par Laurent n’exclut pas les « régaleurs de chique », ces joueurs amoureux fous du cuir, qui dribblent, qui portent la sphère, qui rechignent parfois à la passe. Et à défendre. Et qui par là, nous exaspèrent parfois. Je nomme Ben Arfa, Nasri et Menez en particulier, que Blanc espérait inscrire dans un collectif intelligent et complice.

Le match contre l’Espagne ne peut constituer l’étalon qui permet de juger du niveau d’une équipe. Parce que pour attaquer, il faut avoir la pelote. Sans munition, pas de tir. Sans contact avec le porteur de la bille, pas de duel. Sans duel, pas de combativité. Sans combativité, pas de présence. Parce que les Espagnols sont devenus les rois du jeu (court) dans l’intervalle, entre les lignes des organisations en zone. Entre le milieu et la défense. Entre le milieu et l’attaque. Sans avant-centre fixé dans l’axe, où l’adversaire les attend en vain, les Espagnols multiplient les surnombres. D’un côté. Puis de l’autre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Etc… L’adversaire devient fantomatique. On ne se rend même plus compte. Qu’il court ! Qu’il court ! Qu’il court ! Après la boule. L’équipe de Del Bosque chloroforme l’adversaire, le match, le spectateur. Le dialogue de la rencontre devient monologue, verbiage égoïste.

Personne n’a vraiment réussi à reprendre la parole face à cette logorrhée fatigante. Les solutions sont rares. Contre Barcelone, Chelsea a décidé de camper dans sa surface et à dresser des barricades. Avec succès. La Croatie a repris la formule, en jouant un peu plus haut face aux compères de Casillas. La France a tenté le même schéma. Patatras.

Je vois 3 contrepoisons pour résister aux somnifères ibériques. Au risque de s’empoisonner soi-même. Premièrement, en supprimant les intervalles. En revenant au marquage individuel de ma préhistoire. Deuxièmement, en campant dans le camp adverse, puisque Del Bosque renonce à la vitesse d’attaquants capable de faire des différences sur longue distance dans le dos de la défense. Troisièmement, en changeant les lois du jeu et en les calquant sur celles du basketball ou du handball, sport dans lesquels le temps de possession et le retour en zone de défense sont strictement limités.

J’espère profondément que le Portugal, qui fait très bonne impression jusqu’ici ou que l’Allemagne, excellente aussi, sauront mater les ensorceleurs rouges pour ne pas être tenté par la troisième idée.

Über alles

Les temps ont changé. Et avec eux l’affection que je porte au football allemand. J’aime la Bundesliga et son football ouvert et engagé. Je chéris l’activité folle et la prise de risque du Borussia Dortmund. Je suis friand de la technicité et de l’esprit offensif du Bayern Munich. J’apprécie l’équipe nationale et son jeu spectaculaire. Une équipe qui perd 5 à 3 contre la Suisse  attire immanquablement ma sympathie… Pour le panache de l’exhibition. Pour la perméabilité de sa défense. Pour l’absence de calcul. Pour la spontanéité du comportement. Qui ne peut pas perdurer tout le temps d’un Euro. Ne rêvons pas.

La démarche de Joachim Löw, et ses explications de texte, rappellent le romantisme allemand ou le « Sturm und Drang » de Goethe et le règne des sentiments. Un entraîneur qui revendique : « Le public doit ressentir «des émotions positives» ou «Les titres, c’est beau (…), mais il faut laisser la trace du jeu» ou «Il faut que les gens puissent dire « cette équipe est formidable » même s’il lui arrive de perdre» ou «J’ai une préférence donnée aux joueurs techniques, offensifs» déclenche en moi un soutien indéfectible.

Cette vision du football pourrait paraître un credo isolé, il me semble être un mouvement de fond, accompagné par de nombreux autres collègues germaniques. En janvier, j’étais à Kansas City à la convention NSCAA des entraîneurs américains. Franck Wormuth, responsable de la formation des entraîneurs à la DFB, sortait d’un « clinic » avec de jeunes footballeuses, pas complètement réussi dans son exécution. Quand je lui ai fait part de mes réticences concernant le niveau des joueuses pour la démonstration, il m’a expliqué que bien au contraire, cela lui permettait de démontrer une démarche pédagogique adéquate pour faire progresser les athlètes dans la réalisation de l’exercice. Si bien que la manière est devenue alors aussi importante que le résultat.

Ce qui change d’un autre temps et remémore les paroles de Gary Lineker qui disait: « Le football se joue à onze contre onze et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne » et les mauvais moments passés quand la victoire pouvait être le fruit d’un cynisme consternant.

Je me souviens d’un cours d’entraîneur à Leipzig durant lequel j’essayais d’expliquer le mécanisme du jeu en zone (la « Viererkette » pour eux). Berti Vogts, sélectionneur national, avait analysé les déboires teutons à la Coupe du Monde 1994 par l’oubli des vertus traditionnelles de son peuple, soit travail, discipline, volonté et courage. Ce qui me paraissait tout de même bien léger comme remise en cause.

Mon étonnement fut considérable de constater que ces concepts furent suffisants pour remporter l’Euro 96. Berti me reprocha d’ailleurs, dans son style droit et direct, mon absence d’enthousiasme devant ce succès, ce qui nous valut quelques échanges musclés. Qui me valurent quelques mécomptes. La victoire avait alors toujours raison.

Dans cet Euro 2012, l’Allemagne est en passe de revalider le dicton de Lineker. 3 matches et 3 victoires. Les défaites du printemps contre la France (2-1) et la Suisse ont laissé des traces. Bénéfiques. Sans renier ses valeurs, l’équipe de Löw a nuancé son romantisme, pour affermir la protection de son but. La défense grande et forte rassure, avec le gardien Neuer, 1,93 m, avec Boateng, 1,92 m à droite, Hummels, 1,92 m et Badstuber 1,89 m au centre et Lahm, 1,70 m à gauche. Avec Khedira, 1,89 m et Schweinsteiger, 1,83 m (qui sera un joueur marquant du tournoi) au milieu. Avec Muller, 1,86 m à droite et Podolski, 1,82 m à gauche, avec Özil, 1,86 m derrière Gomez, 1,89 m dans l’axe en attaque, l’Allemagne dicte sa taille dans un 4-4-1-1 impressionnant. Mais surtout talentueux. Elle impose certaines vertus chères à Berti, mais aussi beaucoup de qualité créative et technique, valorisée par un goût de risque moins inconsidéré que voici peu.

Selon moi, Joachim a un seul défaut. Il est trop bien peigné pour un entraîneur. Et il n’a fait qu’une faute depuis le début de cet Euro. Son équipe a gagné ses trois premiers matchs. Quand on sait que pour remporter la compétition, qui est bien une Coupe et non un Championnat, il faut gagner toutes les prochaines rencontres à partir des quarts de finale, souhaitons que 6 victoires d’affilée ne soient pas un challenge irréalisable.

Bye , en tot ziens

Dans une rengaine lancinante, la majorité des entraîneurs explique l’insuccès par le manque d’expérience de leurs joueurs.

Quand Rafael Van der Wart, âgé de 29 ans, 18 buts en 97 sélections est entré en jeu, au retour des vestiaires du match contre l’Allemagne à la place de Mark Van Bommel, 35 ans et 10 buts en 79 sélections, j’ai reniflé le problème. Celui de l’abondance de footballeurs renommés et expérimentés. Mark est sorti. Rafael l’a remplacé. Et il a repris le brassard de capitaine enlevé à l’autre.

Bert Van Marwijk, l’entraîneur des Pays-Bas, finaliste de la dernière Coupe du Monde, doit faire preuve de beaucoup de psychologie pour ménager la susceptibilité exacerbée de ses champions. Pour faire respecter la hiérarchie. Pour éviter l’implosion du groupe. Pour valoriser les remplaçants. Il ne doit pas seulement réussir l’amalgame d’un onze.  Pour maintenir la cohésion, il doit valoriser ses remplaçants et éviter la grogne de stars respectées et admirées. En interne et en externe.

La meute orange a deux cerfs dominants. Le capitaine et le capitaine remplaçant. Qui ne se sont pas affrontés pour gagner le leadership. Van Marwijk doit prendre ses douloureuses responsabilités. Et sacrifier un de ses deux chefs. Pour qu’il n’en reste qu’un. Soit il renonce à Van Bommel, rottweiler généreux qui imprime de l’agressivité au côté du pitbull De Jong pour un compromis intéressant entre jeu et combat. Soit il titularise Van der Wart. Avec le risque de perdre le joueur de l’AC Milan définitivement. Et de faire pencher dangereusement  son équipe vers l’avant.

Une autre composition d’équipe, bancale, retient mon attention. Sneijder, 28 ans, 86 sélections et 26 buts, merveilleux talent créatif, mais irritant cette saison dans son individualisme débordant, peut laisser l’axe au profit de Van der Wart. Pour prendre place sur le banc, ou sur le côté gauche et jouer à la place d’Affelay, 26 ans, 40 sélections et 5 buts, peu convaincant en ce mois de juin.

En respectant la tradition hollandaise de football créatif et de caractère, qui nous a émerveillé  pendant des décennies, de Cruyff en passant par Van Basten, Van Marwick ne pourra pas déroger à un 4-3-3 ou 4-2-1-3. Avec Van Persie, en avant-centre, fulgurant en pointe cette saison avec Arsenal, âgé de 28ans, 67 sélections et 29 buts plutôt qu’avec Huntelar, 28 ans, et 31 buts en 54 sélections et meilleur buteur de Bundesliga cette année, qui me paraît un ton au-dessous. Avec Robben et son pied gauche à droite, 28 ans, 59 sélections et 17 buts, parfois énervant, mais aussi génial, plutôt que Kuyt, courageux et équipier modèle, 31 ans, 88 sélections et 24 buts.

L’équipe placée sur le papier, avec une défense classique (là n’est pas le débat), avec un capitaine (il n’y a pas le choix), avec deux milieux défensifs qui ont du chien (voir plus haut) et du ballon, avec 4 joueurs offensifs (que j’ai eu l’audace de nommer), suscite débat et provoque hésitation, voire même malaise. Van Bommel ou Van der Wart ? Sneijder à gauche ou sur le banc ? Robben plutôt que Kuyit, alors que l’élan et l’enthousiasme de l’équipe semblent diffus et atténués ? Plus d’artistes ou plus de guerriers ?

Les Pays-Bas de l’Euro 2012 me font penser à deux équipes.

À celle de la France de la Coupe du Monde au Japon en 2002, qui n’a pas marqué le moindre but en 3 matchs dans le groupe A avec les 3 meilleurs buteurs de leur championnat respectif, soit Cissé (Auxerre) en France, Trézéguet (Juventus) en Italie et Henry (Arsenal) en Angleterre. Ou à l’équipe du Sénégal de la CAN 2012 qui a perdu ses 3 matchs en marquant 3 buts, avec Niang et Sow (Fenerbahçe), Papiss Cissé et Demba Ba (Newcastle), Camarra (Montpellier) N’Doye (Copenhague) et N’Diaye (Arles), soit 7 attaquants de grande qualité.

Le football est un sport collectif dans lequel chaque individu doit trouver sa place et si possible se sentir bien dans le rôle qui lui est confié. Une hiérarchie claire et naturelle facilite l’intégration dans un projet commun. C’était le cas en Afrique du Sud. Van Marwijk semble avoir perdu la clef de l’harmonie. Parce que ses oranges, malgré tout leur potentiel individuel, ont perdu l’énergie nécessaire aux grandes conquêtes. Je risque donc à leur encontre : un « bye, en tot ziens » (au revoir et à bientôt). Au revoir, car je pense que les bataves  perdront la prochaine rencontre contre les lusitaniens, plus fringants. À bientôt, car je me réjouis de revoir leur football chatoyant.

Sans attaquant

Le football est en train de changer. En profondeur. Fondamentalement. L’Euro 2012 va nous obliger à changer nos raisonnements, à bousculer nos stéréotypes et à revoir notre vocabulaire. Contre l’Italie, l’Espagne de Del Bosque, chantre de l’offensive, a joué 74 minutes sans attaquant. Et la squadra azura, positionnée très bas, dans une position d’attente et de contre, a aligné 2 attaquants en permanence, Cassano et Balotelli, puis Di Natale. Comme l’Angleterre de Hodgson, qui a barricadé l’approche de son but avec 2 rangs serrés de 4 joueurs, et qui a positionné 2 attaquants Young et Welbeck, puis Walcott.

Ouvrons notre petit dictionnaire pour redéfinir les mots. Un attaquant est une personne qui attaque. Et dans les sports d’équipe, un joueur placé à l’avant. Une pointe qui pique. Un footballeur qui prend la profondeur, qui fixe la défense, qui déborde, qui dribble, qui centre et qui tire. Qui réussit des actions décisives. Qui aime la proximité du but adverse. Comme Torres, qui est attiré par l’espace derrière la défense. Et qui défend mal. Ce qui me permet d’affirmer qu’Iniesta, David Silva, Xavi ou Fabregas sont des milieux plus ou moins offensifs, très talentueux, voire géniaux. Mais milieux quand même.

L’offensive est une position d’attaque, un assaut d’un adversaire en prenant l’initiative des opérations. Alors comment peut-on encore rester une équipe offensive, ou réputée comme telle, et jouer sans attaquant ? Sans provoquer une levée de boucliers ou une bordée de quolibets. Ce qui relevait du cauchemar improbable voici 30 ans est lentement devenu réalité. Parce que la préparation de ce qui fut une charge décidée est devenue précautionneuse, prudente, sophistiquée, lente, basée sur la possession du ballon pour attendre ou provoquer le moment favorable. Pour avant tout, priver l’opposant de la sphère en multipliant les passes parfois jusqu’à la nausée. Avec parfois aussi, en finale d’action, des éclairs de talent et même de virtuosité.

Résumons notre propos contradictoire. L’équipe défensive joue avec 2 attaquants, pour attaquer vite et verticalement. L’équipe offensive joue sans attaquant, pour attendre l’ouverture, pour étendre le jeu dans sa largeur, avant de frapper dans des petits espaces. Et tentons de comprendre pourquoi Fernando Torres, qui a percuté l’axe central adverse avec enthousiasme et détermination au point de se créer 2 grosses occasions de scorer en un quart d’heure, est resté assis aussi longtemps sur le banc.

La conservation exacerbée du cuir exige vision du jeu, concentration sans faille et technique affinée. Pour avancer dans le camp adverse en toute sécurité, sans crainte du contre. Cette maîtrise du ballon, cette sûreté dans la circulation bannissent la prise de risque inconsidérée, qui fait partie de la panoplie de l’attaquant. L’intelligence manœuvrière poussée à son paroxysme tue la spontanéité et les coups de folie qui rendent le football si attrayant.

Je parie, et j’espère un échec du football 2012 de Del Bosque. Je souhaite le retour de Torres et des bons résultats avec lui. Je milite pour la protection d’une espèce en voie de disparition, celle des ailiers et des avants-centres. Je crois que le futur vainqueur de la compétition, un peu par provocation, mais surtout par conviction possèdera les meilleurs attaquants du tournoi. J’adore Ibrahimovic, sa capacité athlétique et technique. Je suis ébloui par Shevchenko bien appuyé par Voronin. J’apprécie Arshavin, Christiano Ronaldo pour quelques accélérations mal secondées par Postiga. J’aime Lewandovski, esseulé. J’oublie Keane, Bendtner et Gekas. J’évoque Mandzukic et Jelavic, Welbeck et Young, sans vraiment y croire. Mais les meilleurs attaquants sont allemands avec l’énorme Gomez soutenu par Özil, avec Podolski et Müller pour l’encadrer, avec Klose en réserve. Ils sont français avec Ribéry virevoltant, Benzema collectif et buteur, avec Giroux, un avant-centre redoutable et très complet sur le banc. Ils sont hollandais avec l’excellent Van Persie et le percutant Robben, avec Kuyt et Huntelaar susceptibles d’entrer en jeu.

Même si les premiers résultats infirment cette intuition, je vois l’Allemagne, les Pays-Bas et la France avancer très loin dans la compétition, avec les pays de l’ex-URSS qui jouent à domicile. Je mets une pièce sur l’Italie. J’élimine l’Espagne. Par répression. Le risque est considérable. Je l’assume. Je suis attaquant.

Mieux en Blanc, les bleus !

Les dernières images de l’équipe de France en tournoi final, en 2010, ont déclenché la nausée. Anelka, victime de ses excès égocentriques, qui devient le premier bouc émissaire et évacue la compétition. Un groupe qui refuse de descendre du bus pour s’entraîner. Un sélectionneur qui lit un texte concocté par un agent de joueur. Une défaite contre l’Afrique du Sud. Le KO suit le chaos. Et pour abimer encore plus l’iconographie, au final, Domenech refuse de serrer la main de Parreira.

La chasse aux sorcières suit la débâcle. Domenech, contradicteur permanent, est fusillé au poteau de son management décousu et de son esprit provocateur. Les gentils sont opposés aux méchants. Les blancs aux noirs. Les musulmans aux autres. Finie l’époque idyllique du « Blacks, Blancs, Beurs » des champions de 1998. Pour trouver les coupables, le racisme devient cause ou alibi.

Dans un contexte agité et baigné de désamour, Laurent Blanc succède à Domenech. Changement de coach. Changement d’allure. Enfin un certain style et même un style certain.

Souvent, le footballeur laisse présager l’entraîneur qu’il sera. Laurent joueur, jeune milieu de terrain offensif de Montpellier, échassier majestueux au port de seigneur, œil vif, foulée harmonieuse à défaut d’être vive, pied précis, inventif et souvent foudroyant, jeu de tête ravageur, intelligence de jeu cinq étoiles, peine parfois a imposer sa classe. Par manque de jambes pour échapper au marquage individuel d’alors.

À Montpellier, par alternance, Aimé Jacquet le teste en défense centrale. Pour finalement l’imposer dans cette position. Sans qu’il ne devienne jamais un vrai défenseur aux yeux des puristes. Qui lui reprochent son manque d’agressivité dans le duel ou son absence de méchanceté. Il défend avec intelligence. Lit le jeu. Anticipe. Et relance comme un dieu. Au point de récolter un surnom à Marseille : « Président », pour son influence sur l’équipe, sur et en dehors du terrain, après des passages à Naples, Saint-Étienne, Auxerre et Barcelone, avant l’Inter Milan et Manchester United. Avec 20 ans de carrière, 717 matchs en club (141 buts) et 96 en équipe de France (16 buts).

Entraîneur, il ne se départit jamais d’une grande maîtrise. Qu’il n’avait perdu qu’une fois comme joueur. En giflant Bilic, geste sanctionné d’un carton rouge à la suite d’un accrochage avec le Croate en demi-finale de Coupe du Monde 98. Qui lui aura fait rater le rendez-vous de sa vie. Il est plein de réserve et de retenue pour exprimer ses émotions. Cérébral, toujours sous tension, il conduit ses équipes avec une exigence jamais assouvie. Il décline avec persistance son credo d’un football technique, intelligent, avec un soin particulier porté à la circulation du ballon. Sans jamais oublier de jouer pour triompher. Car ses équipes gagnent. Un titre de champion de France avec Bordeaux. Et la France reste sur 16 matchs sans défaite (avec des victoires en Angleterre et en Allemagne).

Il communique avec prudence et précision, parle vrai, mais pèse chaque mot avant de le prononcer. Car il sait que chaque parole inadaptée peut se retourner contre lui. Son « grand black » proféré dans une réunion technique interne à la Fédération l’a fait vaciller dans son leadership. Où il employait un stéréotype signifiant : grand, fort, vite et individualiste, certains ont voulu comprendre racisme. Alors qu’à mes yeux, il ne s’agit que d’un projet de jeu. Favorisant plus la qualité collective que le potentiel individuel.

Le fil rouge de son action se trouve dans sa première sélection. Il a offert sa première cape à M’Vila, en position de sentinelle devant la défense. Malgré son 1,82 m et sa carnation noire, Yann est surtout un superbe footballeur, précis et technique, qui fluidifie le jeu. Il a offert sa confiance à Rami et à Mexès, parfois fantaisistes, en charnière centrale et à Benzema en attaque, sans jamais déroger à son choix premier, même pendant les périodes de méforme en club. Pour en faire une colonne vertébrale de qualité.

Blanc a changé la pigmentation de son équipe (9 noirs à Bloemfontein pour 3 noirs contre la Serbie), mais il a surtout transformé la couleur du football de la France, avec ces footballeurs d’origine maghrébine Rami, Benzema, Nasri et Ben Arfa), amoureux fou du ballon. Qui a réussi une mi-temps presque parfaite contre l’équipe de Mihailovic.

Le blues du Bayern

L’analyse des défaites du Bayern Munich avant le match retour de la Ligue des Champions contre le FC Bâle m’avait rassuré. J’avais alors écrit : « Malgré les défaites et l’inefficacité, j’ai beaucoup aimé. J’ai adoré la stabilité des compositions d’équipe, la permanence des choix (même dans la difficulté), la qualité de l’état d’esprit, la volonté d’attaquer et les débuts de matchs entamés pied au plancher ». Les revers avaient suivi des performances prometteuses dans l’utilisation du ballon avec une prolifération conséquente d’occasions de buts que seul un manque de réussite avait empêché de transformer en victoire.

Indépendamment de l’aspect psychologique, l’ultime fessée 5 à 2 contre le Borussia Dortmund en finale de la Coupe d’Allemagne est, pour moi, chargée de nouveaux enseignements. Elle résulte de bourdes individuelles, certes, qui ne se reproduiront pas obligatoirement. Les bévues de Boateng se sont additionnées à la balourdise de Badstuber et à la maladresse momentanée de Neuer. Pour un score calamiteux. Qui a été déclenché par l’essaim de guêpes jaunes et noires de Dortmund, agressives dans le pressing et si mobiles et véloces, qu’elles ont été capables de provoquer des points de surnombres dans de nombreux endroits du terrain. Aussi bien en défense qu’en attaque. Jusqu’à déclencher des gestes de panique chez quelques Bavarois.

Avec plus de puissance et d’expérience, mais moins de mobilité, Chelsea et Drogba, pourront exploiter des espaces que le jeu de possession du ballon, d’écartèlement de l’adversaire et de domination territoriale libère autour des défenseurs centraux. À condition de ne pas être étouffés par l’absence de contact fréquent avec le cuir. Car le Bayern détient tant de talents offensifs qu’à tout moment, il peut marquer des buts par Gomez, Robben et Ribéry, surtout. Avec un équilibre d’équipe précaire qui peut pencher vers l’avant. Comme je l’apprécie.

Depuis son entrée en fonction le 4 mars 2012, Robert Di Mateo convainc. Sans restriction. Il a effacé « Special Two » Villas-Boas. Et son projet révolutionnaire de football de demain. Sensé étourdir la concurrence à coup de formules magiques. En changeant les habitudes et en égratignant le statut de ses stars, comme c’est souvent le cas quand une solution ne s’impose pas rapidement, pour essayer de créer un amalgame explosif.

Fidèle à son vécu de footballeur volontaire, sérieux, intelligent et technique. Travailleur et talentueux. Avec un sens du jeu qu’un manque de vélocité et d’explosivité pouvaient estomper au premier coup d’œil, Roberto fait un football d’aujourd’hui. Généreux. Sincère. Sobre. Et victorieux. Chelsea enfile les exploits truffés d’émotions comme des perles. Avec la chance des audacieux qui n’hésitent pas à choisir leurs options. Que ce soit de l’attaque à tout va contre Naples ou de la défense à outrance contre Barcelone. Que ce soit de la maîtrise contre Benfica. Di Matteo connaît toutes les tactiques, les utilise avec habileté. Victoire convaincante en Cup contre Liverpool. Mais son impact sur son groupe ne naît pas que du jeu.

Son respect du footballeur et surtout de ses cadres vieillissants, Terry, 31 ans, Lampard, 34 ans et Drogba, 34 ans, régénère les âmes, ressuscite  les ardeurs et les envies, ragaillardit les mollets, réinvente la bagarre. Les vieux paraissent meilleurs que jamais, forment une colonne vertébrale solide, batailleuse, orgueilleuse. Cech retrouve le niveau supérieur qui était le sien avant son accident et le port de son casque. Même Torres envoie de plus en plus souvent des flashs éclatants du niveau de l’attaquant ravageur qu’il était à son arrivée en Angleterre. Une équipe forte dans l’axe peut voyager. Les suspensions des piliers de défense Terry et Ivanovic pour la Finale de Munich, ainsi que celle de ses voltigeurs Meireles et Ramires compliquent la tâche de l’entraîneur.

Pour terrasser le Bayern chez lui, pour apporter le Graal à son président Abrahamhovic avec une équipe qui a dépassé son zénith depuis deux ans au moins, Roberto Di Matteo aura besoin de toute sa créativité et de sa force de conviction. Avec deux options. Celle de la sagesse, avec une défense renforcée pour rassurer ses remplaçants. Ou celle de la folie, avec deux attaquants d’axe, Drogba et Torres, pour châtier Munich dans ses points faibles.

J’aurais risqué la deuxième solution. C’est pourquoi je suis assis devant mon ordinateur et pas sur un banc de touche. Avec de telles idées, je fais moins de dégâts en écrivant.

Le déclin de l’empire catalan

Vous connaissez la différence entre un penalty et un tir au but. Le penalty est un coup de pied de réparation qui se joue à 11 mètres des buts pendant toute la durée du match et laisse une deuxième chance au tireur à la suite d’un renvoi du gardien. Le tir au but se pratique du même endroit, à la fin du temps réglementaire pour départager deux équipes à égalité. Le tireur doit conclure en une fois.

Dans les faits, il n’y a aucune différence. Quand Messi frappe un penalty sur la barre contre Chelsea, l’échec devient celui de Barcelone et le sien, personnellement. Quand Cristiano Ronaldo échoue lors du tir au but face à Neuer, l’échec devient celui du Real Madrid et le sien, personnellement. Comme le vainqueur a toujours raison, les louanges ne peuvent s’adresser qu’à Chelsea et au Bayern Munich qui se sont qualifiés parce qu’ils étaient les meilleurs. C’est simple. Et tellement basique que mon avant-propos s’efforce simplement de rappeler la fragilité et l’incertitude d’un résultat lors d’un ou deux matches. Qui nous font adorer le football.

Mes « cartes blanches » tentent plus souvent d’interroger l’avenir, avec tous les risques d’erreurs que cela comporte, que de dresser des constats. Je déroge ici à mes habitudes. Si les confrontations entre le Bayern et Real m’ont paru équilibrées, avec des moments forts pour chaque équipe, les rencontres entre Chelsea et Barcelone n’ont pas fait éclore les mêmes sentiments, avec beaucoup  conclusions contradictoires. Le Barça a possédé le ballon pendant 72 % et 83 % lors des deux joutes, ce qui pouvait laisser croire à un monologue catalan. En me fiant à ma formule magique pour la prédiction (l’impression générale + les occasions de but = le résultat), Barcelone pouvait, devait se qualifier parce que ses grosses opportunités de marquer ont été 3 fois plus nombreuses que celle du club londonien. Et souvent, la multiplication des situations favorables permet de marquer. Et donc de gagner.

Toutes les chiffres des statistiques du double affrontement, mais surtout du match retour, parlent pour les Espagnols. Ceux évoqués ci-dessus. Mais aussi les autres avec 23 tirs à 7 et 10 corners à 1. Mais malgré une possession de balle monstrueuse, l’impression générale laissée par Barcelone m’a laissé sur ma faim. Et cela depuis quelque temps.

Parce que dans un football hyper collectif comme celui du Barça, il est anormal que les résultats de l’équipe soient aussi dépendants d’un seul joueur, Messi. Même s’il est le meilleur footballeur du monde, passeur et buteur. Et tireur de penalty comme tout champion qui se respecte et qui prend ses responsabilités.

Parce qu’Iniesta surtout, et dans une moindre mesure Xavi, sont très éloignés de leur meilleur niveau. Ce qui promet des moments périlleux à la sélection de Del Bosque en juin.

Parce qu’en l’absence de Villa, seul Alexis Sanchez fait peser la menace provoquée par un vrai attaquant.

Parce que l’absence d’Abidal, pour maladie et celle de Piquet, par manque d’implication professionnelle, affaiblissent l’équipe dans son potentiel athlétique et dans le jeu aérien.

Parce que Tello ne possède pas encore les canons techniques exigés par une demi-finale de Ligue de Champions, ni devant le but, ni dans le jeu puisque sa perte de balle est à l’origine du 1-0 de Drogba à Stamford Bridge. Parce que Fabregas a démontré des limites dans l’utilisation de son pied gauche devant le gardien.

Parce que Guardiola, admirable de dignité et de compétence, a démontré des signes d’essoufflement. Je l’ai toujours cru sincère quand il a déclaré qu’il ne voulait signer un nouveau contrat au Barça, que s’il s’en sentait la force. Il vient de confirmer ses dires en prenant une année sabbatique. Cela rejoint mon ressenti d’entraîneur parce que l’énergie est un des moteurs fondamentaux du succès. Et que son échec me rappelle une anecdote jamais dévoilée.

En mai 1997, j’ai rendu visite à Marcello Lippi à quelques semaines de la Finale de la Ligue des Champions. Il était submergé par les sollicitations et beaucoup moins disponible que lors de mon premier passage. Moins branché sur son métier. À ma réponse négative concernant mon avenir de coach, il m’avait confié :

« Moi aussi, de temps à autre, je préférerais être sur ma barque en train de pêcher »

Une vingtaine de jours plus tard, Juventus, grandissime favori, perdait 3-1 contre le Dortmund d’Hitzfeld. Par manque de fraîcheur. Mentale et physique. Comme le Barcelone d’aujourd’hui.