Ginola Tonic

Les « frenchies » envahissent la presse d’outre-Manche d’octobre. Cantona et Ginola ravissent les Anglais, mais effraient les Français, parce qu’ils leur renvoient une image qui leur ressemble comme un miroir. Éric et David sont individualistes, râleurs, impulsifs, imprévisibles, bavards et géniaux. Français, quoi ! Le joueur de Manchester United, pour son retour, le temps d’une photographie en noir et blanc, toise la caméra du photographe de mode pour la une d’« Esquire ». Comme pour la presse, un homme extraverti en vaut deux, le nouveau joueur de Newcastle United, tire à lui la couverture de « The Mag » (chemise en jeans, cheveux mouillés, lunettes de soleil, barbe d’un jour) et de « Four-Four-Two » (figure de mode, sombre et floue pour les deux tiers, avec une mise au point du côté éclairé pour une netteté parfaite de l’oeil bleu vert et transparent comme l’eau d’une calanque méditerranéenne, rasé d’avant-hier, avec quelques fils d’argent qui sillonnent sa chevelure et lui offrent une maturité nouvelle). Quand sa belle gueule n’attirent pas le chaland sur l’étalage des marchands de journaux, vous retrouvez David à l’intérieur des revues. Bon texte de 4 feuillets et superbes clichés dans « Club Europe ». 3 pages comme mannequin lors du défilé avec Ferdinand, Barton et Hislop pour la présentation des produits du club dans « Black and White ».

Bien dans sa peau, à l’aise, charmeur, disponible, il connaît la valeur du geste qui fait plaisir. Le bisou sur les deux joues de la petite collégienne française qui passait par là avec sa classe et qui s’en vante déjà. Le mot qui donne vie à l’interlocuteur (il nomme « Mister Soup » le tenancier de la cantine). Sans timidité. Sans gêne (est-ce un défaut ?), il accoste. Sans retenue, il dit ce qu’il pense. Sans avoir toujours le temps de penser aux conséquences de ce qu’il dit. Il parle. Ce qui hérisse les coéquipiers coincés de l’expression orale ou paresseux de la langue. Il s’ouvre. Il s’offre. Et se fait cueillir pour ses paroles. Le fameux « Exocet » de France-Bulgarie était en fait un boomerang qui lui revenait dans les dents pour une faute de langage. Et pas seulement pour un mauvais choix de jeu. Comme il le dit : « Le bonheur, la tristesse, je vis tout par excès ». David a assurément été très malheureux.

En juin 88, alors que je couvais mes « Espoirs » du regard (entre autres Chapuisat, une des idoles de la Bundesliga et Knupp, buteur à 25 reprises avec l’équipe nationale suisse), un jeune joueur français, secondé de Deschamps, éclaboussait le tournoi de Toulon de sa classe. Le coup de foudre éprouvé pour David Ginola devait laisser des traces dans ma chair puisqu’à chaque occasion ou presque, avec Brest ou le PSG, le vaccin de rappel se révélait douloureux pour mes équipes et pour moi-même. Il est un de ces footballeurs, dont Kevin Keegan dit : « Il capte votre oeil, même si le match n’est pas excitant. Vous sortez du stade en pensant que la partie n’était pas terrible, mais en vous souvenant de 2 ou 3 de ses actions. C’est ce qu’il y a de magique en lui. Il a tellement de trucs dans son répertoire. »

J’ai emmené ce préjugé favorable à l’entraînement du mardi. Chez le leader de la Premier League anglaise, David paraît survoler ses partenaires. Élégance du geste juste. Délié de la cheville. Touché de balle soyeux. Accélération dévastatrice. Dribble diabolique. Passes précises des deux pieds. Pichenettes de l’extérieur du droit. Coordination artistique des mouvements. Capacité d’arrêter le jeu sans perdre le contrôle du cuir. Tirs meurtriers. But. But. But. Les supporters présents soupirent d’aise quand il réalise une roulette derrière son pied d’appui. Tremendous, comme me l’avait affirmé un chauffeur de taxi.

Mais comme tout amoureux fou, je finis par ouvrir les yeux sur les défauts. Mercredi matin, je vois l’abandon à la perte de balle. L’absence de replacement défensif. Le geste de trop. La déconcentration. La chute dans la facilité. Les bras levés au ciel pour regretter l’échec. La combinaison rare avec le partenaire, car en jouant, David ne regarde que le ballon. Dans le football, comme au volant d’une voiture, il faut s’informer en lorgnant dans les rétroviseurs, pour savoir où se trouvent adversaires et partenaires. Pour anticiper. Pour collaborer. Pour éviter de s’enferrer dans des dribbles sans issues. But. But. Et but. Quand même ! Le talent subsiste.

Vendredi, sur le coup d’une heure, p.m. bien entendu, l’entraîneur Chris MacMenemy me confie qu’il est bien agréable de posséder un joueur comme Ginola capable de garder le ballon. « Tu peux dire à tes défenseurs : vous n’avez pas de solution de jeu ? Donnez le ballon à David, il ne va pas la perdre. Et en attendant, vous avez le temps de vous replacer. David ne défend pas beaucoup ? Ce n’est pas un problème. Beardsley et Ferdinand, nos attaquants sont de gros travailleurs. »

Samedi à 15 heures, sous un soleil rasant qui annonce l’approche de Noël, dans un stade comble, les pieds blanchis par la craie de la ligne de touche de l’aile gauche qu’il foule continuellement, le superbe maillot noir et blanc sorti du short, David attend quelques minutes avant de faire du Ginola. Contrôle, talon, sprint et faute. Affrontement de l’adversaire, conduite de balle de l’extérieur du pied droit pour s’infiltrer au centre où il se fait deux fois couper en deux par deux adversaires pour un carton jaune. Dribble exceptionnel, dos à l’adversaire qu’il contourne en lui mettant un mètre dans la vue grâce à un changement de direction. Prise de l’intérieur, 1-2 avec Beardsley, passe millimétrée de l’extérieur pour Lee Clark. Débordement de deux défenseurs, centre au premier poteau pour Ferdinand qui marque de la tête le but du 2 à 0. Newcastle penche à droite par l’absence d’un gaucher dans l’axe défensif et oublie « Monsieur Glamour » isolé à l’aile et qui à mon goût devrait, avec sa vitesse, solliciter plus souvent la passe dans la profondeur. Mais David, qui était chétif en poussin et en minime, a appris tout gamin, à chercher les endroits sans trop de trafic pour faire parler la magie de sa technique. À 3 à 0, on sent que David veut inscrire son nom sur le tableau des buteurs. Il envoie 3 ou 4 missiles des 25 m qui font vibrer la foule. Réussit encore quelques numéros d’artiste. Sans marquer.

Contre Wimbledon, Newcastle United gagne le premier set, 6 à 1 sous les applaudissements des spectateurs debout.

Le mémorial de Caen

Le périphérique nord de Caen pourrait, avec un peu de patience, vous conduire au Mont-St-Michel. Mais l’autoroute ceinturant la capitale du Calvados vous mène aux abords d’un énorme parc gazonné surmonté d’un monumental bâtiment qui retient votre attention et peut-être vous arrête. Les 13 drapeaux plantés au pied d’un pic futuriste de métal et de miroirs qui s’élève jusqu’à un gigantesque cube surplombant la falaise égaient la solennité de l’endroit comme un bouquet de fleurs dans un cimetière.

Le Mémorial de Caen est un lieu de recueillement, de souvenirs, et de réflexion sur le temps présent. Le passé est gravé dans la pierre de sa façade : « LA DOULEUR M’A BRISE, LA FRATERNITÉ M’A RELEVÉ, DE MA BLESSURE A JAILLI UN FLEUVE DE LIBERTÉ ». Le futur paraît s’échapper dans le ciel, au-dessus de la porte, sous forme d’un grand miroir compressé par la sobriété imposante des murs cernant l’entrée.

Le Mémorial de Caen, qui évoque la bataille de Normandie, la plus importante et la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité, semble solidement campé au bord de la falaise. Assez solidement pour éviter de tomber dans un trou de mémoire ?

Le mémorial du Stade Malherbe.

Sur les murs de mon bureau, les 13 drapeaux des 13 nations qui ont combattu sur le sol normand, sont remplacés par des fanions épinglés là par Pascal Théault, mon adjoint, un sadique, adepte fanatique de la loi Mazeaud, qui me rappellent toutes les grandes défaites des petites batailles de mon ère (obligatoirement bête). Pascal, dit Calou, explique ainsi la noblesse de ses dons : « Il n’y a pas de défaites à oublier au plus vite. C’est faux. Une défaite, ça sert toujours. Pour avancer, pour progresser, comme point de repère. Il faut s’en servir. » Et je m’en sers aujourd’hui, merci Calou, pour garder l’humilité devant une série de bons résultats.

Là devant moi, sous mes yeux, s’étale cette ordure de petit truc aussi insignifiant que bleu, ce fanion de Portsmouth.

Où et quand ? vous demandez-vous ? Où est Caen ? Je l’ai déjà écrit. Arrêtez de me torturer ! « La douleur m’a brisé, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve d’idées (D-Day étant le jour J en anglais…). Où et quand, et combien, et pourquoi ? That is the question ?

Portsmouth, 22 janvier 90, 5 à 1 (5 à 0 à la mi-temps). La correction permet des corrections. Certaines faiblesses éclatent au grand jour. Les symptômes sont clairs et le diagnostic facile, l’axe central est faiblard et les latéraux souffreteux. Le coach-chirurgien doit opérer sans retard. Comme toujours dans le football, le patient est impatient. Le comportement de chacun est passé aux rayons X. L’entraîneur est blindé, comme M. Dassaut, le fabricant de chars. Certains joueurs abandonnent, d’autres se révoltent, quelques-uns cherchent les fautes chez les autres. Le président apparaît solide.

Ajaccio, à Bastia, le 10 mars 90, humiliation 1-0 en Coupe contre une équipe de 3e division. Accident ou panne ? M. Fiolet le président pense au sabotage. On aurait mis du sucre dans le réservoir. Je pense plutôt que certains éléments non complémentaires sur le plan technique et affectif font fonction de frein à main. Avant l’incident, le malaise était latent, la fébrilité présente. Le Docteur Coach hésitait dans son diagnostic. La chute renforce les soupçons et permet le traitement.

Montpellier, 28 avril 90, 5 à 1 (4-0 à la mi-temps). L’entraîneur y puise une certitude pour l’avenir : la défense est trop lente. Le spectre de la relégation — cet horrible et méchant dragon — réapparaît. Cette apparition morbide fait douter la direction du club. Le tragique de la situation nous ramène au vrai Mémorial. Sous une grande photo est inscrit : “Thaïlande. (86). Dans un camp près du Cambodge”. Un enfant unijambiste d’une dizaine d’années, appuyé sur une béquille de fortune, frappe dans un ballon de cuir. Son plaisir semble aussi évident que nos soucis dérisoires.

Un vécu commun.

Pascal n’a pas encore accroché de fanions cette saison. J’ai fermé à clé la porte de mon bureau… Mais si les mauvais souvenirs de la saison passée subsistent, avec l’arrivée de nouveaux joueurs, la mémoire n’est plus collective et les exemples perdent de poids. Aucune défaite cuisante, de celles qui provoquent des brûlures au deuxième degré comme les jeux de mots de même dénomination ayant été enregistrés, notre Mémorial reste fermé.

Tout de même, l’échec du Parc des Princes a provoqué quelques remous et des failles dans notre solidarité collective. Il constitue une introduction, un pré en bulles. Deux grosses bulles arrêtées ont permis au PSG de prendre l’avantage.

Deux stèles du Mémorial évoquant l’avant-guerre me reviennent en mémoire : “Le temps des dictateurs” et » la démission des démocraties ». Comme je tiens ni à faire « fureur », ni à me « doucher » avec mes « godillots », la collaboration proposée par les joueurs pour amoindrir le danger sur coup-franc sera examinée avec attention, surtout si leurs idées rejoignent  les miennes…

La défaite 0-2 de ce week-end contre Monaco pourrait permettre la réouverture de notre musée aux horreurs. Mais la logique implacable du résultat, la supériorité incontestable de l’adversaire ne permettent que de découvrir des limites qui seront difficiles à repousser dans de brefs délais. L’expérience du haut niveau ne s’acquiert pas en 3 matches.

Tout le monde sportif sait que le saint patron de l’AJ Auxerre se nomme Guy Roux. Qui sait que M.  Giraux, Me et Maire est le père du Mémorial de Caen ? … Avant de devenir celui du Stade Malherbe ? Un (cha) ban pour Me Giraux : « Hip, hip, hip hourra !!! »

Allo?? Derose

Comme par magie, une affaire de Bez deviendrait une histoire à l’eau Derose. C’est à y perdre son lapin. Comme ceux que l’on pose actuellement dans la presse. Et même dans l’Équipe, ma bible.

Voyez le titre de la une du mardi 11 septembre : « Bez : La fin ».

« M. Jacques Chaban Delmas doit annoncer ce midi que le président des Girondins de Bordeaux est remplacé par Jean-Pierre Derose.« 

Et sous l’en-tête de la page 3 : “Derose au pouvoir

Il n’y a plus guère de doute à avoir : le passage de témoin entre Claude Bez et Jean-Pierre Derose aura lieu aujourd’hui.

Vous connaissez la suite. Moi non plus. La découverte du pot Derose a coupé la communication : “Allo ?? Derose ? Allo?…” Plus personne au bout du fil. Tout le monde pensait : “L’important, c’est Derose”. C’est fini, du balai Derose. Le plus gros problème téléphonique français depuis la recherche du 22 à Asnières a coupé les ailes à vilain petit canard (1).

Allo ? Papi ?

Je n’aimerais pas casser de sucre, candide je suis, ingénu je resterai. Mais comme je ne comprends pas grand-chose à la crise girondine, j’ai demandé des explications à mon papa. “Papi”, c’est comme cela qu’on appelle son papa dans les montagnes neuchâteloises était expert-comptable, un diplôme qu’il n’a pas eu “au mérite” comme M.Bez (2), mais en passant des examens. Et bien, malgré lui et sa science (il est actuellement très à la mode de parler à la gloire de son père), la situation en Aquitaine me parait toujours aussi confuse.

“Dallas sur Garonne” me rend daltonien. »Papi » n’y peut rien. Je mélange toutes les couleurs. Le marine et blanc du club avec le bordeaux de M. Chaban Delmas. Le rose socialiste plein d’épines de M. Bordeaux, dit le naufrageur, avec celui de M. Derose, qui aurait payé des Primerose à ses joueurs comme à son tournoi de tennis. Je n’y vois que du noir très noir. Ce qui ne me semble pas très catholique.

« Papi », le brave homme, m’a expliqué qu’un comptable s’occupait de salaires, de gestions, d’administration de biens, de budgets, de prévisions économiques, de rendement, mais cela ne m’a pas trop aidé. Car si je l’entends, je ne l’écoute plus tellement depuis un bon bout de temps et je n’en fais qu’à ma tête. Mon problème de mauvaise (dix) gestion (s), les 15 000 000 000 de centimes de déficit des Girondins devraient être au pire le résultat de dix saisons cumulées et non celui du dérapage d’une seule, me rendent malade. J’ai une allergie au métier parental, les chiffres, les vrais comme les faux, me donnent de l’urticaire. Je ne parviens pas à comprendre que le gouffre de 15 milliards AF, n’est pas selon M. Chaban Delmas un trou, mais des dettes. Et que dans cette situation promettant une cessation de payement imminente, on ne parle pas de déficit, mais comme M.Bez de manoeuvre politique. Je mélange tout. D’ailleurs, même la FFFFF ou 5F (Fournet-Fayard Fédération Française de Football) ne maîtrisent pas : « Et puis souvenez-vous des retournements de situation toujours possibles, Brest est au bord du gouffre, et on le retrouve aux premiers rangs à la reprise ».(3)

Ma foi.

Eh oui ma foi, je suis un simple. J’ai besoin de comprendre, mais surtout de croire. De croire la presse que je lis, les politiques qui nous dirigent, les dirigeants qui nous engagent et nous licencient. Alors, après la crise bordelaise, je ne sais plus qui croire des interlocuteurs privilégiés d’un entraîneur. La presse ? Les présidents ? Les politiques ? Je suis en plein désarroi. À qui puis-je faire confiance ?

Au Bild Zeitung le plus grand quotidien d’Europe occidentale avec 4,7 millions de tirage qui annonce que Franz Beckenbauer gagne 134 000 000  AF par mois ou à M. Tapie (président et député) qui affirme que le kaiser touche 280 000 000 AF par année ?

(1) Selon Larousse, pas Gérard, ni Julie, mais le Petit Robert, celui des dictionnaires, un canard est une fausse nouvelle.

(2) Equipe du 11 septembre.

(3) Equipe du 13 septembre.

Mal, Aimé

« On sait qu’il va chuter. Mais personne n’agit. On attend qu’il tombe. Le problème, c’est qu’il va tous nous entraîner derrière lui… »  Dans les milieux de la presse sportive hexagonale, le cas de l’équipe de France et de son entraîneur Aimé Jacquet, est jugé désespéré. »

Ces quelques lignes vitriolées émanent d’un magazine télé helvétique, qui indubitablement lit français et s’informe à la source auprès de collègues gaulois, qui souhaitent qu’il se fasse la malle, Aimé. Car il est mal, Aimé. Mal aimé. Par la presse spécialisée en tous cas. Ce qui est un comble avec un tel prénom, qui c’est vrai, paraît doublement démodé. Parce qu’aujourd’hui personne n’aurait l’idée de baptiser son fils ainsi. Et parce le sens qu’il porte a disparu du vocabulaire du football d’aujourd’hui. Ajoutez qu’ Aimé se décline en Mémé comme grand-maman. Comme on dit Riton. Ça rapproche en même temps que ça démystifie le personnage. Si Aimé ne fait pas très mâle, que dire de son nom ?

Car c’est vrai, ayons le courage de nous attaquer aux vrais problèmes. Se prénommer Aimé, et s’appeler Jacquet, comme un jeu de dés qui consiste à faire avancer des pions sur une tablette et prétendre mener l’équipe de France de football, c’est confier l’honneur du pays à un jeu de trictrac pour se qualifier ric-rac. Si son appellation, ici malheureusement contrôlée, le rejette au moyen âge, que dire de son look.

Il n’est pas « in » avec son allure de militant de base de l’action Catholique Ouvrière, encore que le cheveu aujourd’hui un rien négligé peut faire croire qu’il n’est plus complètement dans son ascète. Il n’est pas « up » comme on l’écrit dans les revues de mode à la mode, mais bien « down », dépassé le mec Mémé, qui refuse que les caméras de France 2 le suivent pour aller incognito sur un stade, car il aime être seul dans ces occasions-là pour mieux travailler, pour prendre des notes. Il n’est pas branché. Il n’a rien compris au show-biz. Il s’isole dans une tribune, dans laquelle les zooms des caméras de télévision dénichent les visages de Julien Clerc, Patrick Bruel et Enrico Macias, plutôt que s’afficher avec les stars. Il s’immerge dans le football et dans le match par tous ses sens, par tous ses pores plutôt que de parader.

Son comportement médiatique intrigue. Le journaliste observateur le ressent faussement décontracté avant la conférence de presse et soulagé après. Trop pudique pour étaler ses sentiments, trop bien élevé pour pousser une colère qui déchargerait son stress, il ne fait pas assez mâle, Aimé. Pas de gros mots. Sans blague. C’est un faible qui croit à l’honnêteté (en 35 ans de carrière, il n’a jamais réussi à se laisser corrompre, quel naïf !) et au respect mutuel dans la jungle du football professionnel. De plus, plutôt que se taire, il provoque le monde en affirmant haut et fort que la patience, le travail bien fait, le perfectionnisme, la recherche et la réflexion appartiennent à la démarche qui mène au succès. Qu’il le dise (il faut bien communiquer…), passe encore. Qu’il le mette en pratique, c’est aussi intolérable que vieillot.

Voici dix ans, l’entraîneur des Girondins de Bordeaux m’avait ouvert son coeur et ses cahiers de notes. J’en avais conclu : « Aimé comme Jacquet ». Car Battiston appréciait sa psychologie, son goût du dialogue. Giresse aimait son ouverture, sa passion du football et Tigana son sérieux et sa compétence. Specht louait son humanité. Lacombe estimait sa mise en confiance des joueurs et sa faculté de tirer le maximum de chacun. Mais tout le monde le sait, sauf lui : « Les temps ont changé ». Alors, arrêtons le massacre avec des valeurs d’un autre temps. À moins que…

À moins que la constante quête négative de ses défauts supposés depuis ses débuts de coach de l’équipe de France soit remplacée par une chasse minutieuse de ses qualités trop méconnues (il n’existe pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir). Et si finalement son palmarès de trois titres de champions de France comme joueur, de trois autres comme entraîneur, lui permettait de lui attribuer un (tout petit) certificat d’études réussies ? Et si son bilan à la tête des bleus, dont 15 matches sans défaite, dénotait simplement de la  solidité de son équipe et surtout de lui-même ? Et si les dix sept buts marqués pour un reçu, avec une différence positive de plus seize, annonçait à la fois une future grande équipe et une faculté exceptionnelle du sélectionneur à mettre en place l’équipe qui s’impose pour battre la Roumanie, ou même ne pas perdre. Pour terminer 2e du groupe. Pour se qualifier en match de barrage. Pour frapper fort en Angleterre.

Et si on lui lâchait un peu les baskets, à l’ami Aimé ? Ça améliorerait à coup sûr la qualité de vie de la famille Jacquet. Et c’est tout. Car aujourd’hui, au moment de préparer son groupe pour le match du 11 octobre à Bucarest, qui sera son seizième dernier match, le problème du buteur paraît sans solution. Les attaquants-buteurs de Michel Platini, Papin et Cantona sont partis sans laisser d’adresse (devant le but). JPP et Éric le Rouge sont à court de compétition. Loko et Ouedec aussi. Maurice un peu tendre (?) et suspendu.

Aimé se trouve devant un choix aussi difficile que déterminant. S’il transforme son essai, beaucoup devront tourner leur jaquette et enfin découvrir une valeur humaine que j’affectionne.