Histoire de bus

Vous pensez à Knysna, à l’autocar des déboires, à l’aboutissement d’un management désastreux ? Raté. Vous songez aux bus qui acheminent les dieux du stade à leur lieu d’affrontement le jour de match ? Et à la fierté des chaînes de Télévision de présenter des moments aussi exceptionnels (oups). Encore faux.

Mon véhicule de transport collectif est habillé des couleurs portugaises. Et l’anecdote rapportée par mon ami Bernard Challandes, coach de l’Arménie, que j’ai rencontré pour la première fois dans la cour de récréation du Lycée de La Chaux-de-Fonds, m’a rappelé un souvenir vieux d’au moins quarante ans.

Deux jours avant le match qualificatif contre les coéquipiers de Cristano Ronaldo, pour cause de pluie, les Arméniens sont emmenés à 45 minutes de l’enceinte principale. Après 7 heures de voyages aériens. Pour un décrassage et un dernier entraînement offensif. Sur un terrain impraticable. Qui n’autorise que le jeu à la main. Les 45 minutes du retour font enfler l’irascibilité et la grogne des visiteurs.

J-1. Les footballeurs d’Erevan montent dans leur moyen de transport pour se rendre au stade de Faro, situé à 20 minutes de l’hôtel. Des policiers précèdent le convoi. Ils sont chargés de faciliter le menu déplacement pour les derniers exercices. Malencontreusement, ceux-ci se fourvoient, indiquent un chemin inadéquat, qui mène à une impasse. D’où le chauffeur mettra une bonne demi-heure à sortir. L’UEFA blâmera l’Arménie de son retard. Et raccourcira l’ultime entraînement. 1973. Le FC Zurich rencontre le Sporting de Lisbonne en quart de finale de la Coupe des Coupes. Départ de l’hôtel 2 heures avant le match. Pour assurer. Chemin de traverses. Adoption de bouchons inextricables. L’horloge avance plus vite que le bus (quelle fierté pour les Suisses…). Arrivée en face du Estadio Avalade 30 minutes avant le coup d‘envoi. Choix cornélien pour atteindre le vestiaire. Par la droite ou par la gauche ? Le conducteur opte pour le plus long parcours. Qui contourne les trois quarts du stade. 20 minutes avant le match, nous parvenons à rejoindre la garde-robe, qui malencontreusement souffre d’une panne d’électricité. Mais heureusement pas de celle du chauffage, poussé à fond.

Rien de mal intentionné dans ces péripéties. Que des contretemps. Rien de sanctionnable non plus. Que de la mauvaise foi lusitanienne. Qui avait effacé quelques lignes du manuel du fair-play ou du livre du code d’honneur.

Le choix de l’image 

La réflexion que je m’étais faite quand j’avais regardé les reflets filmés du match Arménie-Serbie (1-1) m’est revenue à l’esprit quand j’ai chargé les photographies de mon séjour à Erevan sur mon ordinateur. Une des images en particulier, prise avec mon petit appareil numérique de voyage que je transporte dans ma poche. Avec un gros zoom et lumière incertaine, le résultat n’était pas garanti. Ce que vous pouvez constater ci-dessus.

La banderole d’envergure brandie par les supporters m’a interpellé, quand je l’ai vue pour la première fois. Bernard, à la silhouette reconnaissable, dans une attitude coutumière, une main dans la poche, l’autre bras montrant la direction de Paris à ses joueurs. La peinture sur toile est soulignée avec un texte explicite: « Road to Paris ». Tout de suite, j’ai pensé qu’il avait transmis son envie et sa motivation grâce à sa communication travaillée, précise et enthousiaste aux plus fervents spectateurs. Qui semblaient croire à l’exploit avec ce coach.

Ce que ne partageaient pas le cameraman, le journaliste et (ou) la direction de la télévision  nationale?  Car avec les meilleures actions de la rencontre qualificative sont parues les images de la banderole. Coupée sur la gauche. Sans la présence de mon ami Bernard Challandes. Pourquoi?

Par hasard? Par maladresse de l’homme à la caméra? Par inimitié à l’égard du Suisse? Par choix rédactionnel? Par pessimisme? Par méfiance à l’égard de la compétence de l’entraîneur? Par information secrète distillée au sujet de l’avenir du sélectionneur en cas de défaite humiliante ? Ces questions demeurent sans réponse.

Pour moi, avec une équipe mutilée de ses meilleurs atouts, au travers d’une prestation convaincante, Challandes a délivré un certificat de capacité. Avec un football optimiste.

Les bleus font mal

Je ne l’ai jamais réussi quand j’étais en activité. Je n’allais pas pouvoir le faire hier soir. Observer deux adversaires d’un même œil, leurs intentions, leurs stratégies, leurs tactiques m’a toujours paru impossible. Pauvres journalistes! Par contre en me concentrant sur une équipe, je parviens tout de même à déduire le comportement de son opposant.

Bien sûr, j’ai surtout regardé la sélection de l’Arménie de mon ami Bernard Challandes. Et paradoxalement, je l’ai trouvé en progrès. En tout cas jusqu’au penalty transformé par Gignac, à la 56e minute, qui a signé le glas des espoirs des locaux. Ensuite, la fatigue des héros ayant contraint la Serbie à l’égalité, a pesé dans les jambes, autant que l’arrivée de remplaçants de moindre talent. Au point d’estomper la première bonne impression. Et de se remémorer que tous les footballeurs du groupe de Bernard réunis ne gagnent pas le salaire mensuel d’un seul international français.

Avant la fantastique chevauchée de Pogba qui a fait basculer l’équilibre des débats, l’essentiel du comportement tactique arménien en 5-2-3 a été bien maîtrisé, hormis quelques détails qu’il faudra réviser, surtout sur un plan défensif. Le marquage dans le dos du 3ème central lors des centres. Quelques alignements de la défense. La sortie plus prompte du latéral côté ballon. Et quelques fautes de relances dangereuses sous pression.

L’équipe de Deschamps m’a beaucoup plu. Son sérieux et son panache. Son pouvoir technique et athlétique. Son jeu fluide et percutant. Son esprit d’équipe. Et quelques joueurs, je l’ai déjà écrit ailleurs, qui deviendront des stars mondiales comme Varane et Pogba. Qui déclassent les autres bleus. Comme un bon Gignac par exemple.

L’Arménie de Bernard Challandes

Pour obtenir un résultat nul, 1-1, l’équipe a démontré une générosité extrême, poussée par un public émerveillé des quelques velléités offensives. Les petits gabarits arménien ont multiplié les efforts pour perturber les grands et puissants serbes. Dès les premières minutes, pour prouver l’absence de complexes. Mais petit à petit, les joueurs d’Advokaat dominaient les débats. Sans faire bouger le tableau d’affichage. Contrecarrés, par 2 ou 3 actions tranchantes après 30′ de jeu. Pour imposer le respect et pouvoir y croire.

Le changement tactique de Bernard à la mi-temps, passage du 4-3-3 au 5-2-3, après une adaptation difficile pendant 10′, allait commencer à porter ses fruits. Le pressing conséquent perturbait l’adversaire au point de vivre 20′ de folie. 1-0 par la tête d’Arzumanyan. Contres tranchants. Et penalty raté par Marcos.

Dans le football comme dans la vie, il ne faut pas laisser passer sa chance. Sinon, attention au retour de bâton. Tosic a égalisé d’un maître tir. Pour une rencontre pleine d’émotions, de fierté et de frustration.