Sillonner le pays de Pelé faisait partie de mes rêves d’enfant. Débordant d’images colorées issues de mes fantasmes, de mes lectures et de mon imagination. Avec un foisonnant bouquet d’odeurs, de goûts et d’éclats de rire. Avec des palmiers et des plages. À la découverte du paradis sur terre, creuset du meilleur football jamais pratiqué sur notre globe.
Réaliser cette quête irrésistible comme un pèlerinage à ma Mecque avec mes deux fils, aujourd’hui adultes, m’a bouleversé. Et m’a surpris. Le football n’a pas jamais été le centre unique d’intérêt et de discussion de notre famille. Heureusement. Et son exercice ne présentait d’ailleurs aucune obligation parentale. Emeric, le plus jeune, s’est essayé de longues années au handball avant de découvrir les joies du foot avec ses copains, après son adolescence. Il s’y est adonné avec tant de plaisir et d’ardeur que depuis, il a subi deux opérations aux ligaments croisés. Une à chaque genou. Et a ainsi rejoint son frère Morgan dans la blessure, qui avait cessé la compétition à la suite d’une douloureuse fracture du tibia-péroné. Comme pour exécuter un ordre subliminal du père ? Qui a prêché par l’exemple ?
Quand, sur le sable de la plage de l’ile enchanteresse de Morro de Sao Paulo, mes rejetons, qui s’essayaient à la passe avec une balle plastique, ont été réquisitionnés pour participer à un jeu réduit à 8 contre 8, un brin d’inquiétude m’a gagné à propos des articulations de mon petit dernier. Avant de profiter d’une grande première, celle de voir mes deux garçons s’adonner au football ensemble, avec un gros pincement au cœur et une énorme bouffée d’orgueil paternel.
Leurs performances de match leur ont valu un commentaire de coach. Bref, comme il sied dans une tribu de taiseux. L’activité et l’expression corporelle crient la vérité de l’être, ne cachent aucun trait de personnalité. Ce que mon œil d’expert a décelé collait parfaitement aux attentes de leurs parents. Indépendamment de problèmes techniques ou physiques, Morgan démontre fougue, courage, combativité et volonté de gagner. Et son mollet tonique le propulse à belle allure. Après un début plus timide, Emeric a développé sa grande foulée pour progresser, a livré de nombreux duels chevaleresques, a fait preuve d’abnégation, d’un esprit d’équipe irréprochable et solidaire. Il a même marqué un but qui s’est ajouté à celui de son frère. Au nom du père.
Le voyage que j’ai organisé dans le Nord-Est, avant le tirage au sort, nous a permis de voir des villes pleines de vie, des plages agréables, une campagne verdoyante peuplées d’êtres chaleureux et communicatifs. Il nous a autorisé d’admirer l’Allemagne à Salvador et d’observer l’Argentine avec un scepticisme avéré à Belo Horizonte. Avec des croyances européennes bien ancrées concernant les clés qui mènent au succès. Et qui sont négligées par la sélection sud-américaine finaliste. Au contraire de Costaricains disciplinés, rigoureux et généreux, les Argentins n’hésitent pas à se regrouper près de leur but pour empêcher les attaquants opposés de marquer, mais laissent leurs avants défendre par intermittence, très souvent sur le mode tranquille et lent de la promenade. Qui déroute de ce côté de l’Atlantique. Qui semble suicidaire, vieillot et dépassé de prime abord. Qui perturbe autant l’analyse que le jeu adverse.
L’Allemagne a bafouillé son football contre l’équipe de Sabella. Comme les autres. Oubliées les grandes offensives, l’échange de passes rapides, le mouvement continu, les arabesques séduisantes. Bloqué le rythme entraînant. Affaiblie par des contres menaçants cette confiance en soi, fruit de performances de bon aloi. Sous l’impulsion de Mascherano, guerrier infatigable, l’Argentine a défendu bec et ongle, à 7 acteurs de champ, sans relâche. En escomptant l’inspiration de Lavezzi, Higuain (maladroit ou impressionné par Neuer), Agüero. Ou Messi, sans plaisir dans l’activité, étouffé par l’attente. Triste. Epuisé. Sans élan vital.
Que Götze, d’un contrôle soyeux de la poitrine suivi d’une volée franche et décidée ait terrassé l’Argentine sur son continent reflète quelques concepts très simples. Que la technique et le sang froid représentent des atouts indispensables devant le but adverse. Que trop d’occasions favorables ratées mènent immanquablement à la défaite. Que la meilleure équipe du tournoi avec les Pays-Bas l’a heureusement emporté. Que mes pays d’origine, la Suisse, et d’adoption, la France, sont passés très de plus de bonheur et plus de gloire. Que ma patrie de football, le Brésil, a pris une telle déculottée que même ses plus belles vertus de 2014, sa combativité, ses émotions à fleur de peau, sa frénésie irrationnelle et spectaculaire ont été ridiculisées.
Que David Luis, combattant de l’extrême, qui s’est agité comme un coq décapité, soit devenu le symbole footballistique d’une nation qui clame « Ordre et Progrès » par drapeau interposé , constitue une erreur historique majeure. Il est temps que le Brésil retrouve sa tête, son intelligence, sa créativité, son talent. Qu’il croie en ses fondamentaux. Pour nous faire rêver à nouveau. Et pour gagner.