L’Espagne passe à l’Orange

« Le vainqueur a toujours raison ». C’est avec cette idée obsédante que j’ai regardé la finale de la Coupe du Monde. En souhaitant que les Pays-Bas ne gagne pas. Des « oranges » victorieux auraient pu donner le mauvais exemple. Leur combativité débordante et mal maîtrisée m’a fait soupçonner une violence préméditée et sordide, une intimidation prévue. Trop de mauvais gestes hollandais n’ont pas été sanctionnés assez sévèrement par l’arbitre anglais M. West qui voulait faire vivre un match que les bataves cherchaient à tuer. La semelle du karatéka  De Jong (un sacré bon joueur celui-là) sur Xabi Alonso, en envoyant ses crampons sur le torse du Madrilène, a constitué probablement la faute la plus impressionnante de tout le tournoi. Au ralenti, ceci dit pour dédouaner l’arbitre qui n’était pas coupable du mauvais esprit régnant sur la pelouse, cette agression valait l’expulsion. Les 6 joueurs défensifs hollandais (hormis l’excellent gardien Stekelenburg) ont pris 7 cartons jaunes, dont 2 pour Heitinga expulsé et 6 pour des fautes pour stopper le jeu ibérique. Le mauvais côté de l’esprit de Van Bommel, le beau-fils de l’entraîneur Van Marwijk, souvent légèrement au-delà de ce tolère un comportement sportif, s’est propagé dans les rangs néerlandais comme la peste. Pour pourrir le match, ce qui peut représenter une stratégie alternative pour devenir champion du monde.

Les logiciels d’échec qui battent aujourd’hui les grands maîtres sont nourris de milliers de coups et toutes les parties de l’histoire du jeu pour cracher la bonne réponse au bon moment. Bert Van Marwijk n’a eu qu’à s’inspirer de l’histoire des grands entraineurs de son pays.

Le trophée s’est longtemps fait désirer. Au terme d’une finale extrêmement fermée et donc très décevante sur le plan du jeu, il a fallu la prolongation pour départager les deux finalistes. La décision est venue à cinq minutes de la séance de tirs au but par le petit génie catalan Iniesta. Cette victoire sonne la consécration de l’Espagne, championne d’Europe en titre, et qui devient le huitième champion du monde de l’histoire mais aussi le premier pays européen à triompher hors de son continent. C’est une énorme déception en revanche pour les Oranje, qui échouent pour la troisième fois en finale après les échecs marquants de 1974 et 1978.

La Coupe s’est offert au plus ambitieux des deux. Mais que ce fut laborieux. Une véritable partie d’échec s’est mise en place entre uneRoja toujours aussi possessive avec le ballon et des Oranje à l’esprit ultra défensif. Les 84 450 spectateurs n’ont pas eu la chance d’assister à une finale mémorable. Il n’y avait pas les ingrédients pour offrir un grand spectacle. Cette finale a quelque peu reflété des 90 premières minutes à forcer le verrou néerlandais, fermé à double tour. Sergio Ramos (5e, 11e et 77e), Villa (12e, 70e, 75e et 77e), Pedro (38e) et Xavi (52e et 110e) ont tenté. En vain. Le meilleur espagnol aura pendant longtemps été « San Iker » Casillas, auteur de deux sorties impeccables devant Robben (62e et 83e). L’ailler du Bayern était le seul Oranje à insuffler un peu de mouvement et d’espoir. Mais il était bien seul.

Les entrées de Jésus Navas, lequel a remplacé à l’heure de jeu un Pedro invisible, puis de Fabregas, ont apporté de l’eau au moulin d’une Seleccion impuissante. Le Sévillan s’est de suite montré à son aise en servant Villa par deux fois (66e et 70e). Le Gunner a, lui, manqué un grand duel face à Stekelenburg en tout début de la prolongation (124e). C’était le match des duels perdus. Avant l’éclair de génie d’Iniesta, le sauveur. Un grand monsieur.

Brésil en bleu de travail

Avant mon dernier voyage au Brésil, qui date de trois semaines, je n’avais jamais réussi à voir la réalité du football brésilien sans l’idéaliser. Football Copacabana, avec du football de plage, et plein de filles en string (fil dentaire en portugais) comme nous l’illustrent toutes les chaines de télévision. Football carnaval, football samba, football de rêve, football du paradis. Football de fête.

Football favela, pour expliquer l’inépuisable vivier de joueurs qui éclatent de talent.

En 6 jours, j’ai vu 6 matches âpres à São Paulo, la ville industrieuse du Brésil. J’ai vu 2 fois Portuguesa, deux fois Palmeiras et deux fois Corinthians sans Ronaldo blessé, mais avec un Roberto Carlos de 37 ans en pleine santé. J’ai découvert l’International Porto Alegre, Santos et Flamengo, entre autres. Avec une organisation de jeu presque immuable et récurrente au Brésil. Un 4-2-2-2. Avec deux centraux, deux latéraux, deux milieux défensifs, deux milieux (un relayeur et un offensif) et deux attaquants.

Ce qui demande quelques explications par rapport aux habitudes européennes. Peuplement massif de l’axe central, derrière et devant. Là où les buts se marquent et se prennent. Les uns derrière les autres, et non les uns à côté des autres comme chez nous. Avec des milieux défensifs qui portent très bien leur nom. Avec un œil derrière pour compenser les montées continuelles de défenseurs latéraux très offensifs, seuls à se mouvoir continuellement sur les flancs, avec une concentration permanente pour le marquage des joueurs offensifs adverses et une volonté évidente de s’engager dans le duel.

Le 4-2-2-2 empêche l’organisation du jeu en zone, qui a pour objectif de resserrer les lignes et d’occuper la largeur. Il oblige à un marquage individuel dans sa zone, ce qui oblige le joueur au duel et à l’agressivité en phase défensive, et à l’exploit individuel pour se débarrasser de cette pression en phase offensive.

En attaque, la densité de joueurs dans l’axe contraint l’attaquant au dribble, au jeu court, au une-deux, au petit déplacement malin et au tir. Où nous exigeons de passer sur les ailes, les Brésiliens s’entêtent à passer où nous ne voyons pas d’issue. Souvent avec succès. Car leur football est nourri d’exploit individuel, de complicité collective, de prises de risques et de liberté de déplacements pour plonger sur les côtés ou derrière la défense. Mais surtout, le Brésil a, comme l’Allemagne, une culture du tir. De près, de loin, de côté. Précis, violent ou travaillé. Réussi ou raté, il ne déclenche jamais aucun reproche. D’ailleurs, les meilleurs tireurs de coups francs ont souvent été « auriverde ».

Contraste frappant avec le football européen, le football brésilien paraît moins mécanique. Il reflète plus l’autonomie du joueur qui interprète les idées de l’entraîneur que l’obéissance à des consignes strictes du coach. L’intelligence (de jeu et de comportement) est un des concepts souvent évoqués. Elle représente une qualité forte du footballeur, beaucoup plus que chez nous.

À ces différences culturelles s’ajoute une pression aussi implacable qu’insoupçonnée sur les résultats. La défaite est interdite. Le licenciement des entraîneurs bat tous les records du monde. Ce qui empêche la construction durable et stable de la majorité des clubs. Mais qui oblige à gagner. Tout de suite. Toujours. C’est ce football que Dunga veut faire pratiquer à sa seleçao, déjà « pentacampeao » (cinq fois championne du monde). Il impose à ses joueurs le bleu de travail qu’il a revêtu en tant que footballeur. Un football pratique, sérieux qui n’interdit ni l’exploit technique, ni l’éclat de génie.

Stratégie rouge ou orange ?

    Hommage appuyé à l’Allemagne à qui j’offre cette première ligne, pour que mon admiration soit incontournable. Je voulais d’abord écrire un éloge funèbre pour la mise en bière des cousins germains. C’eut été une faute de goût et une imposture faite à la vérité. Avec cette défaite en demi-finale de Coupe du Monde, l’Allemagne revit ses émotions au plus près des sommets du football terrestre. Après le regain d’efficacité du Bayern de Munich, j’ai été séduit par cette « Mannschaft » romantique, qui a pratiqué le meilleur football de la compétition. Individuellement, j’ai beaucoup apprécié Lahm, Mertesacker, Friedrich, Khedira, Schweinsteiger, Özil, Poldoski, Klose et Müller. Et même Kroos et Jansen. Personne à jeter. Collectivement, le jeu a été fluide, construit, profond et varié. Un vrai régal. Sauf contre l’Espagne. Par manque de ballon. Parce que l’Allemagne est devenue joueuse, et que pour jouer il faut le cuir. Pour ne pas se retrouver comme des alpinistes à la conquête de l’Everest sans masque à oxygène. La balle régénère, fortifie, met en confiance les collectifs joueurs. Et c’est le problème qui se pose contre l’Espagne, qui s’accapare du ballon. Seules deux équipes ont trouvé la parade à cette équation. L’Internazionale de Mourinho et la Suisse d’Hitzfeld (avec quelques conséquences pour cette dernière, car il est très difficile de passer du tout défensif à l’offensif) en défendant avec acharnement, en collant à l’adversaire direct pour lui imposer son impact physique à la prise de balle.

    Ou Joachim Löw, parfait dans son coaching, qui a passé son diplôme européen d’entraîneur en Suisse (je le sais, j’y étais) a demandé à sa sélection d’évoluer dans une organisation en zone d’attente plutôt qu’en zone et pressing, ou son équipe n’a pas réussit à réaliser son plan. Car le problème est complexe et difficile à résoudre. Soit l’adversaire cherche à priver les Espagnols de ballon en essayant de les battre dans la possession (ce qu’Arsenal avait tenté sans succès contre Barcelone en Ligue des Champions au point d’être submergé), soit il tente de pourrir la circulation de la sphère et le jeu de passes pour contrer ensuite (comme l’Inter et la Suisse). Il me semble que le onze de Joachim avait les moyens de faire les deux. Un harcèlement haut, près du gardien adverse (car comme une perte de balle est périlleuse près de son but, il est plus difficile de conserver la possession du cuir près de sa surface de réparation que dans la moitié de terrain adverse, où une passe en retrait à son gardien représente au danger) et possession du ballon dans le camp adverse.

    Pour gagner un match, il faut jouer son jeu et empêcher ou pour le moins perturber celui de l’adversaire. Il faut s’imposer à lui, en valorisant ses propres forces et sa manière pour peser sur les faiblesses adverses. Découvrir les déficiences du contradicteur pour montrer les siennes ne sert à rien. Sauf à jouer un coup de poker. Comme l’Uruguay a tenté de le faire dans l’autre demi-finale contre les Pays-Bas. Van Marwijk et ses oranges pouvaient attendre des « célestes » frileux et attentistes. Tabarez a choisi de presser haut. Cette audace a longtemps fait bafouiller le jeu batave, qui pour ne pas dévoiler les limites de sa défense centrale a l’habitude de pratiquer un regroupement massif devant sa surface de réparation pendant une heure. Pendant plus de soixante minutes, les Hollandais n’ont pas vu le jour contre les Brésiliens, avant de réussir un but miraculeux. Pendant plus de soixante minutes, les Néerlandais ont souffert le martyr contre les Uruguayens, avant de reprendre l’avantage et dérouler un football digne de son histoire.

    La Finale opposera deux équipes au football bien typé et parent. Le combat pour la possession du ballon sera terrible. Si les Pays-Bas subissent trop, comme ils en ont pris l’habitude, ils favoriseront l’expression du jeu de l’Espagne. Au delà de 65 % de possession du ballon, les Ibériques l’emporteront. Je parie donc sur l’Espagne. Même si Van Persie, qui n’a pas fait grand-chose de concluant jusqu’ici, peut me clouer le bec.

Stars blêmes

Même les surhommes ont leurs petites faiblesses. De tous genres. Ce qui réconforte les humbles comme nous. Federer, tel Icare, s’est brûlé les ailes à force de côtoyer le soleil. Armstrong, tel un phénix renaissant de ses cendres force l’admiration et suscite les soupçons qui collent à son sport. Tiger Woods a ses petits soucis.

Quelques stars ont traversé la Coupe du Monde dans un total anonymat. Thierry Henry, meilleur buteur de l’histoire du onze de France avec 51 buts n’a pesé ni sur le terrain lors des quelques minutes jouées, ni dans le vestiaire avant la lamentable grève d’entraînement des bleus. À la poubelle. Ribéry, énervé et brouillon. À la poubelle aussi. Rooney, impérial dans une saison prolifique avant sa blessure en quart de finale de la Champions League contre le Bayern Munich, n’a jamais fait trembler les défenses adverses. Transparent. Lampard moyen. Gerrard essoufflé. Cannavaro souffreteux. Torres sur les rotules. Ronaldo, souvent irrésistible au cours de sa première saison au Real Madrid, engagé et inefficace. Messi sans but.

Dans une société qui tranche sans nuances, qui catalogue en permanence, le vainqueur est louangé et le vaincu est écharpé. La star est étincelante ou nulle. Parfaite ou incapable. Sans degrés intermédiaires qui n’intéressent personne. Tentons l’analyse. Lampard, Eto’o, Ronaldo, Messi avaient déjà tout donné dans une longue et fructueuse saison. Ils sont arrivés usés, plus mentalement que physiquement. Cannavaro a démontré que ses plus belles années sont passées. Henry a trop peu joué pour être dans le rythme. Comme Torres, Ribéry, Gerrard, qui ont été victimes, ou d’une importante blessure ou de trop nombreux pépins. Rooney et Drogba ont additionné saison chargée et blessure d’avant compétition.

Les meilleurs d’aujourd’hui et ceux de demain, donc les futurs vainqueurs, ont une revanche à prendre ou encore tout à prouver. Robben, Sneijder et Van Bommel, les meilleurs Néerlandais ont traversé leur désert en Espagne, à Madrid et à Barcelone. Forlan souffrait d’un manque de temps de jeu à Manchester United. Klose a connu une saison sans. Et les jeunes Allemands Özil et Müller vont devenir des géants, sans pouvoir tout de même dépasser Schweinsteiger qui pourrait devenir le meilleur joueur monde en Afrique du Sud.

La glorieuse incertitude du sport et l’exceptionnelle dramaturgie du football se sont délectées de leurs habituelles erreurs arbitrales (égalisation valable à 2-2 pour l’Angleterre contre l’Allemagne, but hors-jeu de Teves pour l’ouverture du score de l’Argentine contre le Mexique, etc.… À quand le « challenge » comme au tennis !), et de ses occasions immanquables qui pouvaient changer le destin des équipes dans la compétition (penalty raté par Gyan à la dernière minute pour qualifier le Ghana contre l’Uruguay, penalty raté par Cardozo pour ouvrir la marque en faveur du Paraguay contre l’Espagne). Mais un invité-surprise, donc inhabituel, un ballon pervers nommé Jabulani a trompé d’une trajectoire improbable l’impeccable gardien Julio César (out pour un Brésil dominateur avec Kaka et Robinho en regains de forme) et le gardien ghanéen Kingson suite à une frappe de Forlan.

Les demi-finalistes présentent un air de famille. Trois sont européens. Avec une même consanguinité orange. Au pays de Rinus Michels et du football hollandais que l’on disait total, on continue de former des joueurs sur les bases incontournables de la vitesse de course, de l’intelligence de jeu et de la technique. Pour un premier titre qui consacrerait une vision positive du football et du footballeur ? Le style de jeu alléchant de l’Allemagne rappelle celui du Bayern du Batave Louis Van Gaal, avec beaucoup de soin porté à la construction du jeu. Avec beaucoup de lucidité, de fluidité dans les actions et un engagement bien germanique. L’équipe d’Espagne porte les gênes de la paternité de Johan Cruyff, entraîneur mythique du FC Barcelone qui a transformé un « futbol de muerte » (football de mort) en une symphonie pour onze artistes. Je ne crois pas aux chances de l’équipe de Del Bosque, même si je souhaite ardemment son succès. L’équipe et ses stars me paraissent usées et avec un déficit de confiance dû aux derniers déboires. Seul Villa, frais et dispos, débarrassé de compétition internationale avec le FC Valence peut la sortir de là.

Le temps du désamour

    Raymond Domenech est l’entraîneur qui a dirigé le plus souvent l’équipe de France dans son histoire. Ses statistiques sont flatteuses : 76 matches, 41 victoires, 23 matches nuls, 12 défaites, 109 buts marqués et 51 buts encaissés. S’ajoute une finale de Coupe du monde en 2006.

    Mais jamais coach n’a déclenché autant de réactions négatives à son égard. Le personnage n’est pas aimé. Il rebute, comme le poil à gratter. Il repousse, ne se laisse pas approcher. Pourtant les personnes qui ont réussi à s’immiscer dans son intimité décrivent une grande sensibilité, une superbe humanité, une intelligence vive. Dans sa sphère privée, il séduit. Attirance qu’il ne parvient pas à déclencher dans sa vie publique. Raymond est un provocateur. Son verbe persifle. Son trait d’humour blesse. Son mot agit comme une flèche empoisonnée. Son arsenal dialectique cloue, épingle, pilonne. Pour protéger une sensibilité à fleur de peau ?

    Son faciès est gaillard. Cheveux poivre et sel en bataille tirant vers le blanc de la sagesse. Sourcils broussailleux. Yeux laser. Nez aquilin. Menton volontaire. Une vraie face de mec, toujours sous tension, sous contrôle, rarement relâchée ou amicale. En position défensive. Par pudeur ? Par timidité ?

J’ai subi trop de prises de bec avec Raymond (à cause d’un mode de communication assez proche dans sa maladresse) pour pouvoir l’aimer. Comme une majorité de Français qui vivent le personnage comme quelqu’un d’arrogant et de hautain. Mais ce ressentiment brouille l’analyse. Domenech pêche-t-il dans la forme, c’est-à-dire dans la communication, ou dans le fond, dans sa compétence d’entraîneur ?

    À mon sens, le rejet que provoque son discours irrite à tel point l’opinion publique que celle-ci se crispe sur le superflu pour oublier l’essentiel, son travail de terrain. Et dans ce domaine, il laisse poindre quelques lacunes.

Sauf lors de rares exceptions, le jeu de l’équipe de France ennuie. Il fait partie de l’héritage d’Aimé Jacquet dont Raymond fut le joueur à Bordeaux d’abord et l’élève ensuite. Au fil des ans, l’assise défensive et la volonté de conserver le ballon des champions du monde de 1998 ont fait place à une expression très défensive s’appuyant sur les contre-attaques d’attaquants individualistes et très véloces. Les certitudes ont aujourd’hui disparu. La défense a perdu son imperméabilité, le milieu subit, l’attaque toussote. L’équipe de France cherche son style, ou pour parler plus crûment, n’en a pas. Domenech tâtonne. Il n’affiche pas de convictions fortes qu’il pourrait véhiculer et sur lesquelles il pourrait s’appuyer. Aucun fil rouge n’émerge pour éclairer la conduite de la démarche de football. Les questions restent sans réponse. Quelle organisation de jeu ? Quelle logique tactique ? Quel capitaine ? Quel(s) leader(s) ? Quelle défense centrale ? Quelle attaque ?

    Seule certitude, le côté gauche fonctionne bien. Evra de Manchester United s’harmonise avec le milieu Malouda de Chelsea et l’attaquant Ribéry du Bayern de Munich. Mais tout le monde le sait, le football se gagne dans l’axe. Derrière. Et devant. Et là, l’équipe de France et Domenech baignent dans le flou. Avec Gourcuff ? Avec Anelka ? Avec Henri, victime d’une malédiction depuis son jeu incorrect de la main lors du match qualificatif contre l’Eire ? Avec Henri et Anelka ?

    Ces bleus sont imprévisibles. Les voyants sont au rouge. Ribéry et Henri ont raté leur saison. Même si rien ne m’amène à y croire, tous ces éléments négatifs portent les prémices de l’exploit. L’histoire de la Coupe du Monde fourmille d’équipes mal aimées ou mal en point, qui se sont frayé un chemin jusqu’au trophée.

Afrique noire  

    Jamais pays africain n’a profité de l’expérience d’un entraîneur aussi prestigieux que Carlos Alberto Parreira. Sans succès avec l’Afrique du Sud. Jamais la Côte d’Ivoire n’a profité de l’expérience d’un entraîneur aussi prestigieux que Sven Goran Erikson. Sans succès. Jamais le Cameroun n’a profité de l’expérience d’un entraîneur français aussi prestigieux que Paul Le Guen. Sans succès. Jamais le Nigeria n’a profité de l’expérience d’un entraîneur aussi connu que Lars Lagerback. Sans succès. L’inconnu Milovan Rajevac, avec le Ghana et le local Rabah Saadane que j’ai eu l’occasion de rencontrer en Algérie semblent mieux armés pour la survie. Car les lames de guillotine commencent déjà à être aiguisées dans de nombreux pays pour couper la tête des coachs vaincus. Et pas seulement en Afrique.

    L’histoire de la Coupe du monde de football, avec ses exceptions qui confirment la règle, ne vivra aucune alternative à la domination sud-américaine en Amérique et européenne en Europe. L’Asie malgré les bons parcours de la Corée du Sud et du Japon n’a pas marqué son territoire. L’Afrique non plus. Et cela peut surprendre. Car le potentiel individuel des footballeurs africains est exceptionnel. Parmi les meilleurs au Monde. Drogba. Eto’o. Essien. Et de nombreux joueurs dans les grands clubs européens.

    Si la qualité individuelle a toujours convaincu, l’expression collective a souvent déçu dans le passé. Et c’est pour cette raison que des sommités de l’organisation tactique rationnelle ont été engagées. Erikson, le pape du jeu en zone, Lagerback, son fils spirituel, l’intelligent et prudent Le Guen, Parreira l’apôtre du sérieux brésilien présentaient des garanties. Qui se sont traduites sur le terrain. J’ai beaucoup apprécié la patte de Carlos Alberto lors des matchs contre le Mexique et la France avec une bonne défense et un sens du rythme brésilien. Celle de Lars lors de la rencontre contre l’Argentine et la Corée du Sud avec une discipline et une cohérence toute scandinave (enfin une équipe…). Celle de Sven contre le Portugal, qui alliait brio technique et solidité défensive. Seul le Cameroun a déçu. Paul Le Guen a été coincé entre deux générations de footballeurs, dont une a largement dépassé son zénith.

    Constatation qui permet de s’attaquer à la gangrène qui pourrit certaines sélections. L’âge du joueur est minoré. Son passeport le rajeunit de 3 ou 4 ans (en France, ce footballeur s’appelle un « présu », ce qui signifie « présumé » né en cette année), procédé qui a été autorisé au Sénégal pour permettre la scolarisation de tous les enfants à l’âge de 7 ans. Aujourd’hui, cette malversation favorise souvent les équipes de jeunes du continent, mais pénalise les formations d’adultes, car l’ancien, même usé, détient un pouvoir fort dans le groupe, tradition africaine oblige. Et l’Afrique, ses us, ses coutumes, ses ethnies rivales doivent être maîtrisés par l’étranger. Car l’Africain a besoin d’autorité, et accepte celle du blanc (« ce ne sont pas des menteurs », dit-il), fruits de longues années de colonialisme. Mais il aspire aussi à beaucoup d’amour. Comme une plante a besoin d’eau et soleil, il a besoin de marques chaleureuses d’affection. Que ne lui prodiguent peut-être pas les Suédois, les bretons (ou certains Suisses dont je fais partie) ?

    Autre handicap important, les sélections africaines jouent deux compétitions majeures dans la même moitié de saison avec la Coupe d’Afrique des nations en février. Avec deux conséquences :

1. Certains coachs sont débarqués avant la compétition mondiale.

2. Il est impossible de briller deux fois en si peu de temps.

    Pour découvrir l’Afrique et leurs habitants, lisez Ébène de Ryszard Kapucinski, un journaliste et écrivain polonais qui a bourlingué pendant des décennies sur le continent noir. Son humanité dévoile celle de l’autre. Il décrit la société solidaire dans laquelle il a vécu et la précarité du futur. Manger une fois demain est l’objectif prioritaire. Cette réalité vécue quotidiennement ne pousse pas à la programmation des économies pour la retraite. C’est ce qui nous choque toujours quand nous voyons le joueur africain dépenser sans compter et immanquablement avoir des soucis financiers. Quel que soit son salaire.

La force du mental

Nous venions de quitter la table. Nous sommes montés dans sa voiture  pour nous rendre à l’entraînement du Borussia Dortmund. Au démarrage, il a failli écraser un couple de personnes âgées qui traversaient la chaussée. Perdu dans ses pensées, Ottmar ne les avait pas vues.  (Ca aurait pu m’arriver…). Je me suis demandé si une de mes questions,  insidieuse peut-être, l’avait perturbé. J’ai rapidement conclu que le tracas devait provenir d’ailleurs. Car pendant la première approche, il m’a répondu comme à un inconnu, à un étranger. En pesant tous ses mots. Avec clarté et intelligence, mais avec une prudence infinie.

Cet hermétisme a tenu 2 à 3 jours. Ce qui n’a pas manqué de me surprendre. Car lors de l’écriture de mon livre « les sorciers du foot » (une semaine avec un entraîneur renommé, son portrait, ses pensées, son travail de terrain), j’ai presque immanquablement réussi à créer une complicité immédiate avec tous les techniciens et à déclencher rapidement des confidences compromettantes qui auraient pu provoquer quelques remous médiatiques. J’ai souvent été le confesseur, le psychiatre qui a permis d’expulser les tourments grâce à un vécu similaire qui me permettait d’aider à sortir les blessures et les contrariétés enfouies. Pas avec Ottmar Hitzfeld. Pas tout de suite.

Si j’utilise l’anecdote ci-dessus, c’est parce l’équipe nationale suisse a présenté le même visage, la même personnalité que son entraîneur. Ce qui est souvent le cas dans les périodes de connivence. Contre l’Espagne, la Suisse a démontré hermétisme, prudence, intelligence, et simplicité. En relisant le portrait d’Ottmar, que j’ai couché sur le papier en 1996, j’ai été sidéré par le nombre d’adjectifs et d’expressions qui collent parfaitement à la performance individuelle et collective des joueurs à croix blanche contre les ibériques.

Je vous livre en vrac et en italique les qualités des footballeurs que j’ai adoré lors du plus grand exploit de l’histoire du football suisse : Avec lucidité, impassibilité, patience et sang-froid. Comme un boxeur qui ne baisse jamais sa garde, qui esquive tous les crochets, qui prend l’initiative. A coups de volonté obstinée. Avec une maîtrise de soi continuelle. Avec calme et discipline. Avec efficacité. Avec réalisme. Comme un ordinateur qui, entre deux réponses, choisit presque infailliblement la bonne. Avec la même froideur. Dans un souci de rendement. Avec une bonne évaluation de la situation.

J’ai longtemps séché pour accoler trois autres concepts permanents à la carrière d’entraîneur d’Hitzfeld : prise de risque, décision, intuition. En regardant la composition d’équipe, l’évidence m’a sauté aux yeux : Gelson Fernandes, milieu gauche pour perturber les montées de Sergio Ramos. Deux attaquants d’axes, l’un derrière l’autre, Derdiyok en 10 et N’Kuffo en 9 pour profiter de l’isolement fréquent des deux centraux Piquet et Puyol. Personne d’autre n’y aurait pensé. Personne d’autre n’aurait oser le faire. Hitzfeld l’a conçu et mis en place avec succès. Même s’il souligne : « Il faut de la chance. Beaucoup de chance. » Ottmar insiste souvent là-dessus.

L’avenir est rose. Bien sûr. Même s’il faudra inventer un autre football et d’autres stratégies contre des adversaires d’apparence moins redoutables pour pousser plus loin la conquête du monde de football. Ottmar saura le faire. Surtout s’il faut de la chance. Hitzfeld en a. Et nous avec lui.

Balle perdue

    Mon premier souvenir de ballon en cuir remonte aux années 50. Lors d’un match au Parc des Sports à Saint-Imier, un maladroit a raté son tir de 10 mètres au moins. La balle perdue a terminé sa course sur mon nez. J’avais 5 ans. Je sens encore le choc cuisant du cuir mouillé, l’éraflure du lacet qui fermait le globe (j’invente peut-être, mais je me souviens bien de ma première paire de chaussures « Hop Suisse » avec le bout en bois).

Ma deuxième image de balle est différente. Et surtout d’une autre matière. En plastique, dure, agréable au pied pour les interminables petits matches dans les rues, sur la route. La « superflex » était légère, mais suffisamment compact pour casser quelques vitres de portes de garage qui servaient de but.

    Je me suis souvent demandé si ma frappe moyenne en puissance ne provenait pas de mon apprentissage de gamin avec une sphère inadéquate au tir. Qui partait fort avant de ralentir, qui décrivait des trajectoires illogiques, et insensibles aux effets. Je devais vouloir frapper trop fort le cuir, me crisper, me désunir. Car j’ai découvert, au travers d’autres sports, dont le golfe en particulier que la puissance s’obtient plus par l’équilibre, la précision du geste qui traverse la balle et la vitesse du mouvement que par la force.

Depuis plus de 10 ans, j’envie les footballeurs d’aujourd’hui. L’avancée technologique permet à n’importe gringalet de réussir des transversales de 50 mètres et d’envoyer des tirs meurtriers.

    Mais je n’aime pas (encore ?) le ballon de la Coupe du Monde 2010. Et je cours immédiatement à sa défense avant d’aligner mon argumentaire d’attaque. L’altitude de certains stades sud-africains, donc la pression atmosphérique inférieure à celle des stades du bord mer, fausse les trajectoires par une moindre résistance à la pénétration dans l’air. Et les footballeurs présents ne découvrent qu’aujourd’hui en compétition les effets de leur nouvel outil.

    Que le gardien anglais Green, l’Algérien Chaouchi laissent échapper des tirs anodins et se couvrent de ridicule ne n’émeut guère. Que le gardien paraguayen lise mal la trajectoire d’un centre, que le Serbe Kuzmanovic pense dégager le cuir de la tête et que celui-ci atterrisse sur son bras au point de provoquer un penalty ou que le défenseur danois tente de dégager son but à la suite d’un centre et l’envoie en direction de ses propres filets me dérange plus.