Le temps du désamour

    Raymond Domenech est l’entraîneur qui a dirigé le plus souvent l’équipe de France dans son histoire. Ses statistiques sont flatteuses : 76 matches, 41 victoires, 23 matches nuls, 12 défaites, 109 buts marqués et 51 buts encaissés. S’ajoute une finale de Coupe du monde en 2006.

    Mais jamais coach n’a déclenché autant de réactions négatives à son égard. Le personnage n’est pas aimé. Il rebute, comme le poil à gratter. Il repousse, ne se laisse pas approcher. Pourtant les personnes qui ont réussi à s’immiscer dans son intimité décrivent une grande sensibilité, une superbe humanité, une intelligence vive. Dans sa sphère privée, il séduit. Attirance qu’il ne parvient pas à déclencher dans sa vie publique. Raymond est un provocateur. Son verbe persifle. Son trait d’humour blesse. Son mot agit comme une flèche empoisonnée. Son arsenal dialectique cloue, épingle, pilonne. Pour protéger une sensibilité à fleur de peau ?

    Son faciès est gaillard. Cheveux poivre et sel en bataille tirant vers le blanc de la sagesse. Sourcils broussailleux. Yeux laser. Nez aquilin. Menton volontaire. Une vraie face de mec, toujours sous tension, sous contrôle, rarement relâchée ou amicale. En position défensive. Par pudeur ? Par timidité ?

J’ai subi trop de prises de bec avec Raymond (à cause d’un mode de communication assez proche dans sa maladresse) pour pouvoir l’aimer. Comme une majorité de Français qui vivent le personnage comme quelqu’un d’arrogant et de hautain. Mais ce ressentiment brouille l’analyse. Domenech pêche-t-il dans la forme, c’est-à-dire dans la communication, ou dans le fond, dans sa compétence d’entraîneur ?

    À mon sens, le rejet que provoque son discours irrite à tel point l’opinion publique que celle-ci se crispe sur le superflu pour oublier l’essentiel, son travail de terrain. Et dans ce domaine, il laisse poindre quelques lacunes.

Sauf lors de rares exceptions, le jeu de l’équipe de France ennuie. Il fait partie de l’héritage d’Aimé Jacquet dont Raymond fut le joueur à Bordeaux d’abord et l’élève ensuite. Au fil des ans, l’assise défensive et la volonté de conserver le ballon des champions du monde de 1998 ont fait place à une expression très défensive s’appuyant sur les contre-attaques d’attaquants individualistes et très véloces. Les certitudes ont aujourd’hui disparu. La défense a perdu son imperméabilité, le milieu subit, l’attaque toussote. L’équipe de France cherche son style, ou pour parler plus crûment, n’en a pas. Domenech tâtonne. Il n’affiche pas de convictions fortes qu’il pourrait véhiculer et sur lesquelles il pourrait s’appuyer. Aucun fil rouge n’émerge pour éclairer la conduite de la démarche de football. Les questions restent sans réponse. Quelle organisation de jeu ? Quelle logique tactique ? Quel capitaine ? Quel(s) leader(s) ? Quelle défense centrale ? Quelle attaque ?

    Seule certitude, le côté gauche fonctionne bien. Evra de Manchester United s’harmonise avec le milieu Malouda de Chelsea et l’attaquant Ribéry du Bayern de Munich. Mais tout le monde le sait, le football se gagne dans l’axe. Derrière. Et devant. Et là, l’équipe de France et Domenech baignent dans le flou. Avec Gourcuff ? Avec Anelka ? Avec Henri, victime d’une malédiction depuis son jeu incorrect de la main lors du match qualificatif contre l’Eire ? Avec Henri et Anelka ?

    Ces bleus sont imprévisibles. Les voyants sont au rouge. Ribéry et Henri ont raté leur saison. Même si rien ne m’amène à y croire, tous ces éléments négatifs portent les prémices de l’exploit. L’histoire de la Coupe du Monde fourmille d’équipes mal aimées ou mal en point, qui se sont frayé un chemin jusqu’au trophée.

Demande en mariage

    J’en ai rêvé. Domenech l’a fait. Je n’aurais pas osé. Par pudeur. Par timidité. Mais c’est vrai, j’aurais du louer la patrouille de France pour qu’elle écrive dans le ciel en lettre géante de son panache blanc : « Carmen, je t’aime ». Ou j’aurais pu afficher ma passion sur un beffroi. Ou louer les tableaux lumineux à Time Square pour passer le message en continu. Mais je n’ai pas l’envergure du grand amour.

    Pourtant le coup de foudre, je connais. Quand tous tes sens, tout ton cœur et toute ta chair t’aimantent à l’autre. Quand l’autre moitié devient les trois quarts de toi. Quand tu t’oublies pour elle. Quand tu ne respires et ne penses qu’à travers elle. L’amour fou rend aveugle. C’est donc appuyé sur une canne blanche que je braille mon désaccord pour la demande en mariage de Raymond Domenech à Estelle.

    Raymond, demander une main n’exige pas la même fougue, le même brio que déclarer sa flamme. Faire ses civilités à beau-papa, sans entendre sa réponse, parce que de toute manière tu passeras outre, d’accord. Mais le mariage n’est qu’une conséquence logique de deux feux qui ne demandent qu’à en faire un. Pas besoin de millions de téléspectateurs pour officialiser la requête. Cela ressemble trop à un exercice de communication. À quelque chose de prévu et de préparé, que tu voulais sortir en cas de Victoire. Comme se prénomme votre fille. En cas de fête, l’épate serait passée, aurait séduit. En cas de défaite, c’est éliminatoire. Tu prouves que le centre de ta vie est dans ton couple. Comme pour nous tous. Mais après le bilan famélique de l’Euro 2008, qui a humilié des centaines de milliers de Français, qui en ont pleuré, le recul n’était pas de mise. J’ai assez d’ironie en moi pour comprendre la tienne. C’est d’ailleurs ce qui peut me rendre détestable.

    Je me joins donc à la curée (pas pour le sacrement du mariage en robe blanche) pour demander que l’on te monte sur l’échafaud, et que l’on active la guillotine. Pas à cause de ta personnalité. Mais simplement parce que le football joué par les bleus m’ennuie, me lasse, me tracasse, m’agace, m’importune, me déplait, me contrarie, m’embête, m’excède, m’énerve, me crispe et m’horripile. Et que seul le succès (je vénère la réussite) me permet de le supporter. En cas de Bérézina, il faut changer.