Question : « Une défaite peut-elle faire plaisir ? » Réponse : « Oui, celle des autres ». Et c’est bien cette sensation agréable que j’ai ressentie pendant et après la déroute de l’Espagne contre les Pays-Bas et contre le Chili. Sans partager cette jubilation parfois méchante que j’ai éprouvée dans les bars du Brésil, peuplés de supporters de toutes nations. J’ai trop de respect pour la noblesse de comportement de Del Bosque, d’Iniesta et de Xavi. J’ai trop de considération pour leur humilité, leur éducation, pour leur classe autant que pour leur palmarès. J’aime tout simplement ces hommes.
La belle histoire avait pourtant bien commencé. A Barcelone avec Cruyff comme entraîneur, le football espagnol a évolué vers plus de technique, plus d’intelligence, avec un esprit offensif souligné par la présence de 3 vrais attaquants, dont 2 très excentrés. Au point de faire de Stoïkov (un vrai avant-centre) un ailier buteur. Les joueurs espagnols, et les Barcelonais en particulier, prouvaient enfin que le football de haut niveau n’était pas ouvert qu’aux athlètes de 1,85m ou plus, aux aux sprinters types Usain Bolt, mais qu’avec une taille moindre, il était possible de remporter n’importe quel trophée. À condition de disposer d’une excellente technique, d’un bon sens du jeu et d’un volume de course approprié.
Les succès en pagaille des Espagnols et des Barcelonais m’ont envoûté dans un premier temps. Le ballon circulait vite, dans tous les sens. La moindre faute rivale de positionnement était sanctionnée, le moindre espace était utilisé avec brio. Pour faire mal. Devant ce constat, les adversaires se sont mieux organisés, se sont plus regroupés devant leur but, ont fait preuve d’encore plus d’abnégation et ont réellement défendu à 11.
Pour contourner le problème, les Catalans, comme les Espagnols, ont multiplié les passes. Pour attendre la faute adverse plutôt que la provoquer. Pour faire courir l’adversaire et le fatiguer. A toi, à moi, à toi, à moi, à toi… Jusqu’à la nausée. Bien sûr, à force de jouer derrière, les attaquants ont disparu. Pas la peine d’avoir des gars devant qui prennent la profondeur, qui adorent la prise de risque, alors que l’objectif premier devient la possession de balle pour empêcher dans le même temps le contradicteur d’attaquer. Ce football de possession a fait fleurir de nouvelles statistiques. 70% ou 80% de possession de balle. 800 ou 900 passes, dont 95% réussies, devenaient des références incontournables. Pour endormir l’opposant, le spectateur neutre ou adverse et le téléspectateur.
Heureusement, ce football somnifère est définitivement mort au Brésil. Pour plusieurs raisons.
Parce que les figures de proue barcelonaises sont usées de trop de conquêtes, de trop d’efforts, de trop de pression, de trop de combats.
Parce que le football de mouvement est devenu un football d’attente, d’attentisme, de calcul permanent, de balle dans les pieds, de jeu vers l’arrière.
Parce que ce style de jeu développé est de plus en souvent contré et que même la possession écrasante du ballon n’est plus assurée. Car quelques équipes ont trouvé les solutions pour détruire cette chorégraphie grâce à un pressing très haut. Comme l’Atletico Madrid contre Barcelone lors de tous ses duels de cette année. En imposant une présence physique constante sur le porteur du cuir, sans hésiter à jouer en force. Ce qui a produit deux effets. Une perte de ballon suivie de contre. Et une perte de confiance en son modèle de jeu et de son potentiel individuel et collectif.
Parce ce que des joueurs habitués à la victoire ont découvert la défaite et le doute. Et tout le monde le sait, l’hésitation est la plus grande ennemie du footballeur. Les 3 premières minutes du match contre le Chili ont d’ailleurs été pathétiques. La panique a gagné les rangs de la «roja». Le contrôle échappait à toute maîtrise, la passe devenait miraculeuse. Les champions étaient redevenus des hommes.
Les espagnols doivent maintenant retrouver un autre projet de jeu. Tant mieux pour nous.