Fin de cycle

Question :  « Une défaite peut-elle faire plaisir ? » Réponse : « Oui, celle des autres ».  Et c’est bien cette sensation agréable que j’ai ressentie pendant et après la déroute de l’Espagne contre les Pays-Bas et contre le Chili. Sans partager cette jubilation parfois méchante que j’ai éprouvée dans les bars du Brésil, peuplés de supporters de toutes nations. J’ai trop de respect pour la noblesse de comportement de Del Bosque, d’Iniesta et de Xavi. J’ai trop de considération pour leur humilité, leur éducation, pour leur classe autant que pour leur palmarès. J’aime tout simplement ces hommes.

La belle histoire avait pourtant bien commencé. A Barcelone avec Cruyff comme entraîneur, le football espagnol a évolué vers plus de technique, plus d’intelligence, avec un esprit offensif souligné par la présence de 3 vrais attaquants, dont 2 très excentrés. Au point de faire de Stoïkov (un vrai avant-centre) un ailier buteur. Les joueurs espagnols, et les Barcelonais en particulier, prouvaient enfin que le football de haut niveau n’était pas ouvert qu’aux athlètes de 1,85m ou plus, aux aux sprinters types Usain Bolt, mais qu’avec une taille moindre, il était possible de remporter n’importe quel trophée. À condition de disposer d’une excellente technique, d’un bon sens du jeu et d’un volume de course approprié.

Les succès en pagaille des Espagnols et des Barcelonais m’ont envoûté dans un premier temps. Le ballon circulait vite, dans tous les sens. La moindre faute rivale de positionnement était sanctionnée, le moindre espace était utilisé avec brio. Pour faire mal. Devant ce constat, les adversaires se sont mieux organisés, se sont plus regroupés devant leur but, ont fait preuve d’encore plus d’abnégation et ont réellement défendu à 11.

Pour contourner le problème, les Catalans, comme les Espagnols, ont multiplié les passes. Pour attendre la faute adverse plutôt que la provoquer. Pour faire courir l’adversaire et le fatiguer. A toi, à moi, à toi, à moi, à toi… Jusqu’à la nausée. Bien sûr, à force de jouer derrière, les attaquants ont disparu. Pas la peine d’avoir des gars devant qui prennent la profondeur, qui adorent la prise de risque, alors que l’objectif premier devient la possession de balle pour empêcher dans le même temps le contradicteur d’attaquer. Ce football de possession a fait fleurir de nouvelles statistiques. 70% ou 80% de possession de balle. 800 ou 900 passes, dont 95% réussies, devenaient des références incontournables. Pour endormir l’opposant, le spectateur neutre ou adverse et le téléspectateur.

Heureusement, ce football somnifère est définitivement mort au Brésil. Pour plusieurs raisons.

Parce que les figures de proue barcelonaises sont usées de trop de conquêtes, de trop d’efforts, de trop de pression, de trop de combats.

Parce que le football de mouvement est devenu un football d’attente, d’attentisme, de calcul permanent, de balle dans les pieds, de jeu vers l’arrière.

Parce que ce style de jeu développé est de plus en souvent contré et que même la possession écrasante du ballon n’est plus assurée. Car quelques équipes ont trouvé les solutions pour détruire cette chorégraphie grâce à un pressing très haut. Comme l’Atletico Madrid contre Barcelone lors de tous ses duels de cette année. En imposant une présence physique constante sur le porteur du cuir, sans hésiter à jouer en force. Ce qui a produit deux effets. Une perte de ballon suivie de contre. Et une perte de confiance en son modèle de jeu et de son potentiel individuel et collectif.

Parce ce que des joueurs habitués à la victoire ont découvert la défaite et le doute. Et tout le monde le sait, l’hésitation est la plus grande ennemie du footballeur. Les 3 premières minutes du match contre le Chili ont d’ailleurs été pathétiques. La panique a gagné les rangs de la «roja». Le contrôle échappait à toute maîtrise, la passe devenait miraculeuse. Les champions étaient redevenus des hommes.

Les espagnols doivent maintenant retrouver un autre projet de jeu. Tant mieux pour nous.

Comment battre l’Espagne ?

Le football est un sport qui se joue à 11 contre 11, qui dure 2 X 45 minutes, plus les minutes de temps additionnel. Et qu’il faut gagner en marquant un but de plus que l’adversaire. Ou en recevant un de moins. Selon votre caractère, votre éducation, vos capacités et vos idées. Entre autres. En utilisant tous les moyens autorisés par les lois du jeu et l’interprétation qu’en fait l’arbitre.

Le kick and rush, (jeu long et course derrière le ballon) faisant avant tout appel à la force et au courage, m’a toujours répugné. Probablement parce que je n’aurais jamais pu m’illustrer dans un style privilégiant la débauche d’énergie plutôt que la subtilité. Mon Graal (celui que l’on recherche et que l’on ne trouve jamais) de mon football (technique, intelligence et possession du ballon) a été dépassé par l’Espagne. Cela m’indispose. Parce que finalement le cerveau peut pousser au calcul. Lorsque dans un match de l’Euro, les rouges et bleus réussissent 150 passes de plus que les 600 de moyenne effectuées en Afrique du Sud, en tirant moins souvent au but que 2 ans plus tôt, cela signifie que ses intentions ont changé. La possession de la sphère devient obsession. Qui exclut la prise de risque, le déchet et la générosité qui enflamme le spectacle. Qui paralyse l’adversaire et la rencontre. Le style devient manie, idée fixe, maladie, maniaquerie.

Le football mondial et européen est devenu un vaste laboratoire de recherche. Pour battre l’Espagne ou Barcelone. Pour trouver LA solution. Le contrepoison absolu. La démarche de Prandelli en finale et lors du premier affrontement m’a séduit. Elle a permis le spectacle. Donné un espoir de victoire plutôt qu’un refus de défaite. En multipliant les tentatives de tir au point de permettre à Casillas de devenir un des héros de la finale. Face à l’absence d’attaquant ibère, l’Italie a essayé de jouer haut (idée que je préconisais dans une précédente chronique). Au point d’être battu dans la profondeur par Fabregas en course longue à la lutte avec Chiellini (blessé) lors du 1-0. Et en contre sur une attaque de 60 mètres terminée par le latéral supersonique Alba pour conclure le 2-0. Au point d’être à égalité de possession du cuir à ce moment fatal du match.

Pour contrer le pressing étouffant et les surnombres défensifs habituels des Espagnols, Cesare avait décidé, comme lors de la première confrontation, de trouver rapidement ses deux attaquants Balotelli et Cassano, égoïstes et personnels à la finition (au contraire de l’esprit collectif des joueurs offensifs d’en face) pour couper l’Espagne en deux. Et pour leur apporter un soutien rapide empêchant une bonne réorganisation de la défense. Avec la seule réussite de tirer très souvent au but. Sans marquer. Dans une absence de réalisme italien loin de sa tradition.

Pour gripper la circulation adverse, comme jamais, j’ai senti la volonté d’anticiper la trajectoire de passe en avançant, en osant ouvrir à Iniesta et ses frères des angles de passes favorables dans la profondeur et la possibilité de démontrer la justesse de leur sens du jeu. Pari perdu. Mais bien tenté. Par manque d’efficacité offensive. Parce que,  dans l’autre direction de la joute, la précision millimétrique des passes de Pirlo  est devenue simplement métrique après la récupération du jouet. Parce que l’ouverture du jeu par une pression haute a provoqué un déchet technique inhabituel chez les Barcelonais et Madrilènes réunis, sans offrir de vraies situations de contres. Parce que le score défavorable aux azzuris offrait un confort psychologique que les joueurs de la « roja » n’auraient pas connu en étant menés.

Le football reconnaissant offre une couronne de laurier à Césare Prandelli. Qui nous a permis de nous extasier à nouveau devant le talent d’Iniesta et ses réponses majoritairement justes aux situations de jeu. Nous pouvions à nouveau déguster ce sens collectif jamais bafoué, ces premiers contrôles orientés idoines, ces changements de direction déroutants, ces touchers de balle onctueux, ces visions périphériques en 3D, ces passes judicieuses de Busquets, Xavi, Alonso, Sylva et Fabregas. De Sergio Ramos, qui séduit dans l’axe. D’Alba, un découverte pour moi. Pour nous pâmer devant cette humilité invariable dans le comportement et de la rentrée réussie de l’attaquant Torres. Cette maîtrise constante peut irriter parce qu’elle empêche le débat contradictoire.

Mais comme souvent, nous ne connaitrons jamais la vraie réponse. Est-ce que l’Espagne peut être ennuyeuse parce qu’elle refuse toute prise de risques ou parce que son contradicteur n’essaie même pas de la contrarier ? Et s’oblige à garder le ballon pour la faire sortir de son terrier. L’Italie, qui a terminé le match à 10, a donné une mauvaise réponse en perdant 4-0. Personne ne voudra les imiter. Dommage. La finale a atteint des sommets d’esthétisme. Car une symphonie se joue à 2.

Forza Italia

L’ample drapeau vert, blanc, rouge qui vêt un bout de façade de son habitation n’affiche aucun sentiment de rejet de sa nationalité ou l’envie d’une provocation revancharde. Fabrice est bien français, même si son nom, Favetto-Bon, exhume une origine transalpine, qui n’a pas forcément dû être toujours facile à porter pour une autre génération de sa famille émigrée. Le David de Michel Ange de la Piazza della Signoria, imprimé sur son tablier qu’il porte, avec des proportions adaptées à une illusion d’optique troublante, procède du même humour badin. Les couleurs des brochettes de tomates cerises, mozzarella et basilic soulignent discrètement le clin d’œil organisé pour l’événement, comme les spaghettis all’arrabiata, et la grappa parfumée et chaleureuse. Avec une rasade pour Prandelli et le spectacle offert. Et un verre pour fêter une victoire méritoire contre une Allemagne joueuse et généreuse. Que je ne renierai pas, même dans la déconfiture !

La défaite de 3 – 0 de la squadra azzura en match de préparation à l’Euro contre la Russie, dans une ambiance plombée par de multiples problèmes et polémiques, dont des soupçons de corruption qui pèsent sur le Calcio, paraissait compromettre les chances d’une équipe assaillie de doutes et d’attaques nauséabondes. Comme souvent, les soucis ponctuels ont permis au flamboyant Cesare Prandelli, de créer une unité forte face à l’extérieur et de faire diminuer la pression qui tombe immanquablement sur les favoris. L’Italie n’avait plus rien à perdre, puisque selon l’opinion de la presse, elle ne pouvait rien gagner.

J’ai goûté sa première confrontation du tournoi contre l’Espagne. Qui nous donne quelques indications pour la Finale d’aujourd’hui. Lors d’affrontements par match aller et retour, le premier match influence obligatoirement le second. Par son résultat, bien sûr. Mais aussi par un rapport de force qui s’est créé. Par un impact psychologique. Par une meilleure connaissance de ses possibilités et celles de l’adversaire. J’ai ressenti le nul 1 à 1 comme un score équitable. Chez les Azzuri, j’ai noté du panache, de l’envie, du jeu vers l’avant et une solidité « made in Italia » dans les duels défensifs. J’en ai vu assez pour me dire : « wow ! Il faudra se méfier des spaghettis ». La défense à 3 contre les « toreros » m’a interloqué, interrogé et convaincu. Dans la phase défensive, cette organisation de jeu a permis de serrer les Ibères de très près. À réduire ces intervalles dans lesquels ils se baladent, tournicotent, hypnotisent et étouffent l’adversaire. Habituellement les « castagnettes » dictent le jeu, imposent leur loi, règnent sur les débats. Pas cette fois-là. Viva Italia ! Match il y a eu. Match il y aura, ce soir. Et peut-être même une belle Finale.

Car la « squadra » possède de beaux atouts, que je redécouvre, après leur brève période d’hibernation. Buffon est redevenu le grand gardien qu’il fut, invincible, même avec ses barrettes dans les cheveux. Les défenseurs centraux Chiellini, Bonucci et Barzagli sont dignes de leurs racines. Sangsues, pieuvres. Intransigeants dans les duels au sol et aériens. À qui peut s’ajouter le couteau suisse, le multicarte qui sait tout bien faire, de Rossi. Tour à tour, milieu de terrain ou central. Les latéraux, Abate et Balzaretti sont attirés par les grandes chevauchées offensives, mais savent défendre comme des chiens. Avec l’apport de Maggio, milieu mobile, Prandelli trouve toutes les solutions pour moduler ses schémas tactiques variables. Avec 2 défenseurs centraux ou 3, avec plus ou moins d’esprit offensif sur les côtés, dans une recherche d’équilibre selon les forces et faiblesses du contradicteur. Motta, participe, parfois à cette quête de complémentarité. Marchisio toujours présent et complet dans tous les registres se montre indispensable. Si j’ai un faible pour les coups de patte de Montolivo, je suis sous le charme du danseur étoile Pirlo. Sa légèreté, son style aérien, son élégance font oublier qu’il est le meilleur récupérateur de ballon de la compétition. Sans paraître y toucher, il dépossède son adversaire direct du ballon, médusé par tant d’anticipation et d’intelligence. Quand il conduit le cuir, il rejoint Rivera et Antognoni dans le gotha des maîtres. Son premier contrôle est infaillible, sa passe millimétrée, ses contre-pieds décisifs et son tir meurtrier. Digne du meilleur joueur du tournoi.

Que Cesare tire le maximum des caractériels Cassano et Balotelli (qui a dit que le génie frise la folie ?) démontre le grand sens managérial de Prandelli. Qui préserve ainsi l’incisif buteur Di Natale (34 ans) pour des rentrées en étincelantes. Qu’il en soit récompensé !

Avec ou sans Blanc ?

Le commentateur possède le privilège immense de pouvoir émettre son opinion après les choix des autres. Et il ne s’en prive pas. Après les 2 défaites 2-0 subies par la France contre la Suède et l’Espagne à l’Euro 2012 suivant une série de 23 matchs sans défaite, les mauvaises notes vont tomber. Sur le Président de la Fédération Française de Football, Le Graet, qui n’a pas renouvelé le contrat de Laurent Blanc avant la compétition. Sur le sélectionneur qui a fait jouer un latéral droit en position d’ailier contre la « roja ». Sur les joueurs qui n’ont pas assez tenté sur le terrain. Sur les bavards qui n’ont pas respecté l’omerta du vestiaire qui veut que le linge sale se lave en famille après les défaites. Sur les journalistes qui révèlent les algarades d’après match.

Le sujet primordial concerne le futur de l’entraîneur national. Blanc ? Ou non ? Laurent voudra-t-il continuer son œuvre ? Telle peut être la question. Qui doit offrir une réponse affirmative. Il a redonné tenue et résultats à une équipe de France qui avait indécemment égratigné son image en Afrique du Sud. Il a patiemment construit une équipe, une logique, un football. Il a cru, dès le départ, à certains joueurs qu’il a imposés, bon an, mal an dans la colonne vertébrale de son onze. Lloris dans les buts. Rami et Mexès (qui ne lui a pas rendu, en arrivant avec 5 kilos de trop en Ukraine), M’Vila (qui s’est blessé avant la compétition) et Benzema (qui a souvent marqué en bleu, sauf en ce mois de juin).

La présence fondamentale de ces éléments clés implique un projet de jeu plus technique avec un soin considérable porté à la circulation du ballon, voire à sa conservation immodérée (j’en rêvais, l’Espagne l’a fait et ce n’est pas très joli à voir). Le footballeur vu par Laurent n’exclut pas les « régaleurs de chique », ces joueurs amoureux fous du cuir, qui dribblent, qui portent la sphère, qui rechignent parfois à la passe. Et à défendre. Et qui par là, nous exaspèrent parfois. Je nomme Ben Arfa, Nasri et Menez en particulier, que Blanc espérait inscrire dans un collectif intelligent et complice.

Le match contre l’Espagne ne peut constituer l’étalon qui permet de juger du niveau d’une équipe. Parce que pour attaquer, il faut avoir la pelote. Sans munition, pas de tir. Sans contact avec le porteur de la bille, pas de duel. Sans duel, pas de combativité. Sans combativité, pas de présence. Parce que les Espagnols sont devenus les rois du jeu (court) dans l’intervalle, entre les lignes des organisations en zone. Entre le milieu et la défense. Entre le milieu et l’attaque. Sans avant-centre fixé dans l’axe, où l’adversaire les attend en vain, les Espagnols multiplient les surnombres. D’un côté. Puis de l’autre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Etc… L’adversaire devient fantomatique. On ne se rend même plus compte. Qu’il court ! Qu’il court ! Qu’il court ! Après la boule. L’équipe de Del Bosque chloroforme l’adversaire, le match, le spectateur. Le dialogue de la rencontre devient monologue, verbiage égoïste.

Personne n’a vraiment réussi à reprendre la parole face à cette logorrhée fatigante. Les solutions sont rares. Contre Barcelone, Chelsea a décidé de camper dans sa surface et à dresser des barricades. Avec succès. La Croatie a repris la formule, en jouant un peu plus haut face aux compères de Casillas. La France a tenté le même schéma. Patatras.

Je vois 3 contrepoisons pour résister aux somnifères ibériques. Au risque de s’empoisonner soi-même. Premièrement, en supprimant les intervalles. En revenant au marquage individuel de ma préhistoire. Deuxièmement, en campant dans le camp adverse, puisque Del Bosque renonce à la vitesse d’attaquants capable de faire des différences sur longue distance dans le dos de la défense. Troisièmement, en changeant les lois du jeu et en les calquant sur celles du basketball ou du handball, sport dans lesquels le temps de possession et le retour en zone de défense sont strictement limités.

J’espère profondément que le Portugal, qui fait très bonne impression jusqu’ici ou que l’Allemagne, excellente aussi, sauront mater les ensorceleurs rouges pour ne pas être tenté par la troisième idée.

Sans attaquant

Le football est en train de changer. En profondeur. Fondamentalement. L’Euro 2012 va nous obliger à changer nos raisonnements, à bousculer nos stéréotypes et à revoir notre vocabulaire. Contre l’Italie, l’Espagne de Del Bosque, chantre de l’offensive, a joué 74 minutes sans attaquant. Et la squadra azura, positionnée très bas, dans une position d’attente et de contre, a aligné 2 attaquants en permanence, Cassano et Balotelli, puis Di Natale. Comme l’Angleterre de Hodgson, qui a barricadé l’approche de son but avec 2 rangs serrés de 4 joueurs, et qui a positionné 2 attaquants Young et Welbeck, puis Walcott.

Ouvrons notre petit dictionnaire pour redéfinir les mots. Un attaquant est une personne qui attaque. Et dans les sports d’équipe, un joueur placé à l’avant. Une pointe qui pique. Un footballeur qui prend la profondeur, qui fixe la défense, qui déborde, qui dribble, qui centre et qui tire. Qui réussit des actions décisives. Qui aime la proximité du but adverse. Comme Torres, qui est attiré par l’espace derrière la défense. Et qui défend mal. Ce qui me permet d’affirmer qu’Iniesta, David Silva, Xavi ou Fabregas sont des milieux plus ou moins offensifs, très talentueux, voire géniaux. Mais milieux quand même.

L’offensive est une position d’attaque, un assaut d’un adversaire en prenant l’initiative des opérations. Alors comment peut-on encore rester une équipe offensive, ou réputée comme telle, et jouer sans attaquant ? Sans provoquer une levée de boucliers ou une bordée de quolibets. Ce qui relevait du cauchemar improbable voici 30 ans est lentement devenu réalité. Parce que la préparation de ce qui fut une charge décidée est devenue précautionneuse, prudente, sophistiquée, lente, basée sur la possession du ballon pour attendre ou provoquer le moment favorable. Pour avant tout, priver l’opposant de la sphère en multipliant les passes parfois jusqu’à la nausée. Avec parfois aussi, en finale d’action, des éclairs de talent et même de virtuosité.

Résumons notre propos contradictoire. L’équipe défensive joue avec 2 attaquants, pour attaquer vite et verticalement. L’équipe offensive joue sans attaquant, pour attendre l’ouverture, pour étendre le jeu dans sa largeur, avant de frapper dans des petits espaces. Et tentons de comprendre pourquoi Fernando Torres, qui a percuté l’axe central adverse avec enthousiasme et détermination au point de se créer 2 grosses occasions de scorer en un quart d’heure, est resté assis aussi longtemps sur le banc.

La conservation exacerbée du cuir exige vision du jeu, concentration sans faille et technique affinée. Pour avancer dans le camp adverse en toute sécurité, sans crainte du contre. Cette maîtrise du ballon, cette sûreté dans la circulation bannissent la prise de risque inconsidérée, qui fait partie de la panoplie de l’attaquant. L’intelligence manœuvrière poussée à son paroxysme tue la spontanéité et les coups de folie qui rendent le football si attrayant.

Je parie, et j’espère un échec du football 2012 de Del Bosque. Je souhaite le retour de Torres et des bons résultats avec lui. Je milite pour la protection d’une espèce en voie de disparition, celle des ailiers et des avants-centres. Je crois que le futur vainqueur de la compétition, un peu par provocation, mais surtout par conviction possèdera les meilleurs attaquants du tournoi. J’adore Ibrahimovic, sa capacité athlétique et technique. Je suis ébloui par Shevchenko bien appuyé par Voronin. J’apprécie Arshavin, Christiano Ronaldo pour quelques accélérations mal secondées par Postiga. J’aime Lewandovski, esseulé. J’oublie Keane, Bendtner et Gekas. J’évoque Mandzukic et Jelavic, Welbeck et Young, sans vraiment y croire. Mais les meilleurs attaquants sont allemands avec l’énorme Gomez soutenu par Özil, avec Podolski et Müller pour l’encadrer, avec Klose en réserve. Ils sont français avec Ribéry virevoltant, Benzema collectif et buteur, avec Giroux, un avant-centre redoutable et très complet sur le banc. Ils sont hollandais avec l’excellent Van Persie et le percutant Robben, avec Kuyt et Huntelaar susceptibles d’entrer en jeu.

Même si les premiers résultats infirment cette intuition, je vois l’Allemagne, les Pays-Bas et la France avancer très loin dans la compétition, avec les pays de l’ex-URSS qui jouent à domicile. Je mets une pièce sur l’Italie. J’élimine l’Espagne. Par répression. Le risque est considérable. Je l’assume. Je suis attaquant.

L’Espagne passe à l’Orange

« Le vainqueur a toujours raison ». C’est avec cette idée obsédante que j’ai regardé la finale de la Coupe du Monde. En souhaitant que les Pays-Bas ne gagne pas. Des « oranges » victorieux auraient pu donner le mauvais exemple. Leur combativité débordante et mal maîtrisée m’a fait soupçonner une violence préméditée et sordide, une intimidation prévue. Trop de mauvais gestes hollandais n’ont pas été sanctionnés assez sévèrement par l’arbitre anglais M. West qui voulait faire vivre un match que les bataves cherchaient à tuer. La semelle du karatéka  De Jong (un sacré bon joueur celui-là) sur Xabi Alonso, en envoyant ses crampons sur le torse du Madrilène, a constitué probablement la faute la plus impressionnante de tout le tournoi. Au ralenti, ceci dit pour dédouaner l’arbitre qui n’était pas coupable du mauvais esprit régnant sur la pelouse, cette agression valait l’expulsion. Les 6 joueurs défensifs hollandais (hormis l’excellent gardien Stekelenburg) ont pris 7 cartons jaunes, dont 2 pour Heitinga expulsé et 6 pour des fautes pour stopper le jeu ibérique. Le mauvais côté de l’esprit de Van Bommel, le beau-fils de l’entraîneur Van Marwijk, souvent légèrement au-delà de ce tolère un comportement sportif, s’est propagé dans les rangs néerlandais comme la peste. Pour pourrir le match, ce qui peut représenter une stratégie alternative pour devenir champion du monde.

Les logiciels d’échec qui battent aujourd’hui les grands maîtres sont nourris de milliers de coups et toutes les parties de l’histoire du jeu pour cracher la bonne réponse au bon moment. Bert Van Marwijk n’a eu qu’à s’inspirer de l’histoire des grands entraineurs de son pays.

Le trophée s’est longtemps fait désirer. Au terme d’une finale extrêmement fermée et donc très décevante sur le plan du jeu, il a fallu la prolongation pour départager les deux finalistes. La décision est venue à cinq minutes de la séance de tirs au but par le petit génie catalan Iniesta. Cette victoire sonne la consécration de l’Espagne, championne d’Europe en titre, et qui devient le huitième champion du monde de l’histoire mais aussi le premier pays européen à triompher hors de son continent. C’est une énorme déception en revanche pour les Oranje, qui échouent pour la troisième fois en finale après les échecs marquants de 1974 et 1978.

La Coupe s’est offert au plus ambitieux des deux. Mais que ce fut laborieux. Une véritable partie d’échec s’est mise en place entre uneRoja toujours aussi possessive avec le ballon et des Oranje à l’esprit ultra défensif. Les 84 450 spectateurs n’ont pas eu la chance d’assister à une finale mémorable. Il n’y avait pas les ingrédients pour offrir un grand spectacle. Cette finale a quelque peu reflété des 90 premières minutes à forcer le verrou néerlandais, fermé à double tour. Sergio Ramos (5e, 11e et 77e), Villa (12e, 70e, 75e et 77e), Pedro (38e) et Xavi (52e et 110e) ont tenté. En vain. Le meilleur espagnol aura pendant longtemps été « San Iker » Casillas, auteur de deux sorties impeccables devant Robben (62e et 83e). L’ailler du Bayern était le seul Oranje à insuffler un peu de mouvement et d’espoir. Mais il était bien seul.

Les entrées de Jésus Navas, lequel a remplacé à l’heure de jeu un Pedro invisible, puis de Fabregas, ont apporté de l’eau au moulin d’une Seleccion impuissante. Le Sévillan s’est de suite montré à son aise en servant Villa par deux fois (66e et 70e). Le Gunner a, lui, manqué un grand duel face à Stekelenburg en tout début de la prolongation (124e). C’était le match des duels perdus. Avant l’éclair de génie d’Iniesta, le sauveur. Un grand monsieur.

Stratégie rouge ou orange ?

    Hommage appuyé à l’Allemagne à qui j’offre cette première ligne, pour que mon admiration soit incontournable. Je voulais d’abord écrire un éloge funèbre pour la mise en bière des cousins germains. C’eut été une faute de goût et une imposture faite à la vérité. Avec cette défaite en demi-finale de Coupe du Monde, l’Allemagne revit ses émotions au plus près des sommets du football terrestre. Après le regain d’efficacité du Bayern de Munich, j’ai été séduit par cette « Mannschaft » romantique, qui a pratiqué le meilleur football de la compétition. Individuellement, j’ai beaucoup apprécié Lahm, Mertesacker, Friedrich, Khedira, Schweinsteiger, Özil, Poldoski, Klose et Müller. Et même Kroos et Jansen. Personne à jeter. Collectivement, le jeu a été fluide, construit, profond et varié. Un vrai régal. Sauf contre l’Espagne. Par manque de ballon. Parce que l’Allemagne est devenue joueuse, et que pour jouer il faut le cuir. Pour ne pas se retrouver comme des alpinistes à la conquête de l’Everest sans masque à oxygène. La balle régénère, fortifie, met en confiance les collectifs joueurs. Et c’est le problème qui se pose contre l’Espagne, qui s’accapare du ballon. Seules deux équipes ont trouvé la parade à cette équation. L’Internazionale de Mourinho et la Suisse d’Hitzfeld (avec quelques conséquences pour cette dernière, car il est très difficile de passer du tout défensif à l’offensif) en défendant avec acharnement, en collant à l’adversaire direct pour lui imposer son impact physique à la prise de balle.

    Ou Joachim Löw, parfait dans son coaching, qui a passé son diplôme européen d’entraîneur en Suisse (je le sais, j’y étais) a demandé à sa sélection d’évoluer dans une organisation en zone d’attente plutôt qu’en zone et pressing, ou son équipe n’a pas réussit à réaliser son plan. Car le problème est complexe et difficile à résoudre. Soit l’adversaire cherche à priver les Espagnols de ballon en essayant de les battre dans la possession (ce qu’Arsenal avait tenté sans succès contre Barcelone en Ligue des Champions au point d’être submergé), soit il tente de pourrir la circulation de la sphère et le jeu de passes pour contrer ensuite (comme l’Inter et la Suisse). Il me semble que le onze de Joachim avait les moyens de faire les deux. Un harcèlement haut, près du gardien adverse (car comme une perte de balle est périlleuse près de son but, il est plus difficile de conserver la possession du cuir près de sa surface de réparation que dans la moitié de terrain adverse, où une passe en retrait à son gardien représente au danger) et possession du ballon dans le camp adverse.

    Pour gagner un match, il faut jouer son jeu et empêcher ou pour le moins perturber celui de l’adversaire. Il faut s’imposer à lui, en valorisant ses propres forces et sa manière pour peser sur les faiblesses adverses. Découvrir les déficiences du contradicteur pour montrer les siennes ne sert à rien. Sauf à jouer un coup de poker. Comme l’Uruguay a tenté de le faire dans l’autre demi-finale contre les Pays-Bas. Van Marwijk et ses oranges pouvaient attendre des « célestes » frileux et attentistes. Tabarez a choisi de presser haut. Cette audace a longtemps fait bafouiller le jeu batave, qui pour ne pas dévoiler les limites de sa défense centrale a l’habitude de pratiquer un regroupement massif devant sa surface de réparation pendant une heure. Pendant plus de soixante minutes, les Hollandais n’ont pas vu le jour contre les Brésiliens, avant de réussir un but miraculeux. Pendant plus de soixante minutes, les Néerlandais ont souffert le martyr contre les Uruguayens, avant de reprendre l’avantage et dérouler un football digne de son histoire.

    La Finale opposera deux équipes au football bien typé et parent. Le combat pour la possession du ballon sera terrible. Si les Pays-Bas subissent trop, comme ils en ont pris l’habitude, ils favoriseront l’expression du jeu de l’Espagne. Au delà de 65 % de possession du ballon, les Ibériques l’emporteront. Je parie donc sur l’Espagne. Même si Van Persie, qui n’a pas fait grand-chose de concluant jusqu’ici, peut me clouer le bec.