Comment battre l’Espagne ?

Le football est un sport qui se joue à 11 contre 11, qui dure 2 X 45 minutes, plus les minutes de temps additionnel. Et qu’il faut gagner en marquant un but de plus que l’adversaire. Ou en recevant un de moins. Selon votre caractère, votre éducation, vos capacités et vos idées. Entre autres. En utilisant tous les moyens autorisés par les lois du jeu et l’interprétation qu’en fait l’arbitre.

Le kick and rush, (jeu long et course derrière le ballon) faisant avant tout appel à la force et au courage, m’a toujours répugné. Probablement parce que je n’aurais jamais pu m’illustrer dans un style privilégiant la débauche d’énergie plutôt que la subtilité. Mon Graal (celui que l’on recherche et que l’on ne trouve jamais) de mon football (technique, intelligence et possession du ballon) a été dépassé par l’Espagne. Cela m’indispose. Parce que finalement le cerveau peut pousser au calcul. Lorsque dans un match de l’Euro, les rouges et bleus réussissent 150 passes de plus que les 600 de moyenne effectuées en Afrique du Sud, en tirant moins souvent au but que 2 ans plus tôt, cela signifie que ses intentions ont changé. La possession de la sphère devient obsession. Qui exclut la prise de risque, le déchet et la générosité qui enflamme le spectacle. Qui paralyse l’adversaire et la rencontre. Le style devient manie, idée fixe, maladie, maniaquerie.

Le football mondial et européen est devenu un vaste laboratoire de recherche. Pour battre l’Espagne ou Barcelone. Pour trouver LA solution. Le contrepoison absolu. La démarche de Prandelli en finale et lors du premier affrontement m’a séduit. Elle a permis le spectacle. Donné un espoir de victoire plutôt qu’un refus de défaite. En multipliant les tentatives de tir au point de permettre à Casillas de devenir un des héros de la finale. Face à l’absence d’attaquant ibère, l’Italie a essayé de jouer haut (idée que je préconisais dans une précédente chronique). Au point d’être battu dans la profondeur par Fabregas en course longue à la lutte avec Chiellini (blessé) lors du 1-0. Et en contre sur une attaque de 60 mètres terminée par le latéral supersonique Alba pour conclure le 2-0. Au point d’être à égalité de possession du cuir à ce moment fatal du match.

Pour contrer le pressing étouffant et les surnombres défensifs habituels des Espagnols, Cesare avait décidé, comme lors de la première confrontation, de trouver rapidement ses deux attaquants Balotelli et Cassano, égoïstes et personnels à la finition (au contraire de l’esprit collectif des joueurs offensifs d’en face) pour couper l’Espagne en deux. Et pour leur apporter un soutien rapide empêchant une bonne réorganisation de la défense. Avec la seule réussite de tirer très souvent au but. Sans marquer. Dans une absence de réalisme italien loin de sa tradition.

Pour gripper la circulation adverse, comme jamais, j’ai senti la volonté d’anticiper la trajectoire de passe en avançant, en osant ouvrir à Iniesta et ses frères des angles de passes favorables dans la profondeur et la possibilité de démontrer la justesse de leur sens du jeu. Pari perdu. Mais bien tenté. Par manque d’efficacité offensive. Parce que,  dans l’autre direction de la joute, la précision millimétrique des passes de Pirlo  est devenue simplement métrique après la récupération du jouet. Parce que l’ouverture du jeu par une pression haute a provoqué un déchet technique inhabituel chez les Barcelonais et Madrilènes réunis, sans offrir de vraies situations de contres. Parce que le score défavorable aux azzuris offrait un confort psychologique que les joueurs de la « roja » n’auraient pas connu en étant menés.

Le football reconnaissant offre une couronne de laurier à Césare Prandelli. Qui nous a permis de nous extasier à nouveau devant le talent d’Iniesta et ses réponses majoritairement justes aux situations de jeu. Nous pouvions à nouveau déguster ce sens collectif jamais bafoué, ces premiers contrôles orientés idoines, ces changements de direction déroutants, ces touchers de balle onctueux, ces visions périphériques en 3D, ces passes judicieuses de Busquets, Xavi, Alonso, Sylva et Fabregas. De Sergio Ramos, qui séduit dans l’axe. D’Alba, un découverte pour moi. Pour nous pâmer devant cette humilité invariable dans le comportement et de la rentrée réussie de l’attaquant Torres. Cette maîtrise constante peut irriter parce qu’elle empêche le débat contradictoire.

Mais comme souvent, nous ne connaitrons jamais la vraie réponse. Est-ce que l’Espagne peut être ennuyeuse parce qu’elle refuse toute prise de risques ou parce que son contradicteur n’essaie même pas de la contrarier ? Et s’oblige à garder le ballon pour la faire sortir de son terrier. L’Italie, qui a terminé le match à 10, a donné une mauvaise réponse en perdant 4-0. Personne ne voudra les imiter. Dommage. La finale a atteint des sommets d’esthétisme. Car une symphonie se joue à 2.

Avec ou sans Blanc ?

Le commentateur possède le privilège immense de pouvoir émettre son opinion après les choix des autres. Et il ne s’en prive pas. Après les 2 défaites 2-0 subies par la France contre la Suède et l’Espagne à l’Euro 2012 suivant une série de 23 matchs sans défaite, les mauvaises notes vont tomber. Sur le Président de la Fédération Française de Football, Le Graet, qui n’a pas renouvelé le contrat de Laurent Blanc avant la compétition. Sur le sélectionneur qui a fait jouer un latéral droit en position d’ailier contre la « roja ». Sur les joueurs qui n’ont pas assez tenté sur le terrain. Sur les bavards qui n’ont pas respecté l’omerta du vestiaire qui veut que le linge sale se lave en famille après les défaites. Sur les journalistes qui révèlent les algarades d’après match.

Le sujet primordial concerne le futur de l’entraîneur national. Blanc ? Ou non ? Laurent voudra-t-il continuer son œuvre ? Telle peut être la question. Qui doit offrir une réponse affirmative. Il a redonné tenue et résultats à une équipe de France qui avait indécemment égratigné son image en Afrique du Sud. Il a patiemment construit une équipe, une logique, un football. Il a cru, dès le départ, à certains joueurs qu’il a imposés, bon an, mal an dans la colonne vertébrale de son onze. Lloris dans les buts. Rami et Mexès (qui ne lui a pas rendu, en arrivant avec 5 kilos de trop en Ukraine), M’Vila (qui s’est blessé avant la compétition) et Benzema (qui a souvent marqué en bleu, sauf en ce mois de juin).

La présence fondamentale de ces éléments clés implique un projet de jeu plus technique avec un soin considérable porté à la circulation du ballon, voire à sa conservation immodérée (j’en rêvais, l’Espagne l’a fait et ce n’est pas très joli à voir). Le footballeur vu par Laurent n’exclut pas les « régaleurs de chique », ces joueurs amoureux fous du cuir, qui dribblent, qui portent la sphère, qui rechignent parfois à la passe. Et à défendre. Et qui par là, nous exaspèrent parfois. Je nomme Ben Arfa, Nasri et Menez en particulier, que Blanc espérait inscrire dans un collectif intelligent et complice.

Le match contre l’Espagne ne peut constituer l’étalon qui permet de juger du niveau d’une équipe. Parce que pour attaquer, il faut avoir la pelote. Sans munition, pas de tir. Sans contact avec le porteur de la bille, pas de duel. Sans duel, pas de combativité. Sans combativité, pas de présence. Parce que les Espagnols sont devenus les rois du jeu (court) dans l’intervalle, entre les lignes des organisations en zone. Entre le milieu et la défense. Entre le milieu et l’attaque. Sans avant-centre fixé dans l’axe, où l’adversaire les attend en vain, les Espagnols multiplient les surnombres. D’un côté. Puis de l’autre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Passe d’un joueur libre à un joueur libre. Etc… L’adversaire devient fantomatique. On ne se rend même plus compte. Qu’il court ! Qu’il court ! Qu’il court ! Après la boule. L’équipe de Del Bosque chloroforme l’adversaire, le match, le spectateur. Le dialogue de la rencontre devient monologue, verbiage égoïste.

Personne n’a vraiment réussi à reprendre la parole face à cette logorrhée fatigante. Les solutions sont rares. Contre Barcelone, Chelsea a décidé de camper dans sa surface et à dresser des barricades. Avec succès. La Croatie a repris la formule, en jouant un peu plus haut face aux compères de Casillas. La France a tenté le même schéma. Patatras.

Je vois 3 contrepoisons pour résister aux somnifères ibériques. Au risque de s’empoisonner soi-même. Premièrement, en supprimant les intervalles. En revenant au marquage individuel de ma préhistoire. Deuxièmement, en campant dans le camp adverse, puisque Del Bosque renonce à la vitesse d’attaquants capable de faire des différences sur longue distance dans le dos de la défense. Troisièmement, en changeant les lois du jeu et en les calquant sur celles du basketball ou du handball, sport dans lesquels le temps de possession et le retour en zone de défense sont strictement limités.

J’espère profondément que le Portugal, qui fait très bonne impression jusqu’ici ou que l’Allemagne, excellente aussi, sauront mater les ensorceleurs rouges pour ne pas être tenté par la troisième idée.

Über alles

Les temps ont changé. Et avec eux l’affection que je porte au football allemand. J’aime la Bundesliga et son football ouvert et engagé. Je chéris l’activité folle et la prise de risque du Borussia Dortmund. Je suis friand de la technicité et de l’esprit offensif du Bayern Munich. J’apprécie l’équipe nationale et son jeu spectaculaire. Une équipe qui perd 5 à 3 contre la Suisse  attire immanquablement ma sympathie… Pour le panache de l’exhibition. Pour la perméabilité de sa défense. Pour l’absence de calcul. Pour la spontanéité du comportement. Qui ne peut pas perdurer tout le temps d’un Euro. Ne rêvons pas.

La démarche de Joachim Löw, et ses explications de texte, rappellent le romantisme allemand ou le « Sturm und Drang » de Goethe et le règne des sentiments. Un entraîneur qui revendique : « Le public doit ressentir «des émotions positives» ou «Les titres, c’est beau (…), mais il faut laisser la trace du jeu» ou «Il faut que les gens puissent dire « cette équipe est formidable » même s’il lui arrive de perdre» ou «J’ai une préférence donnée aux joueurs techniques, offensifs» déclenche en moi un soutien indéfectible.

Cette vision du football pourrait paraître un credo isolé, il me semble être un mouvement de fond, accompagné par de nombreux autres collègues germaniques. En janvier, j’étais à Kansas City à la convention NSCAA des entraîneurs américains. Franck Wormuth, responsable de la formation des entraîneurs à la DFB, sortait d’un « clinic » avec de jeunes footballeuses, pas complètement réussi dans son exécution. Quand je lui ai fait part de mes réticences concernant le niveau des joueuses pour la démonstration, il m’a expliqué que bien au contraire, cela lui permettait de démontrer une démarche pédagogique adéquate pour faire progresser les athlètes dans la réalisation de l’exercice. Si bien que la manière est devenue alors aussi importante que le résultat.

Ce qui change d’un autre temps et remémore les paroles de Gary Lineker qui disait: « Le football se joue à onze contre onze et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne » et les mauvais moments passés quand la victoire pouvait être le fruit d’un cynisme consternant.

Je me souviens d’un cours d’entraîneur à Leipzig durant lequel j’essayais d’expliquer le mécanisme du jeu en zone (la « Viererkette » pour eux). Berti Vogts, sélectionneur national, avait analysé les déboires teutons à la Coupe du Monde 1994 par l’oubli des vertus traditionnelles de son peuple, soit travail, discipline, volonté et courage. Ce qui me paraissait tout de même bien léger comme remise en cause.

Mon étonnement fut considérable de constater que ces concepts furent suffisants pour remporter l’Euro 96. Berti me reprocha d’ailleurs, dans son style droit et direct, mon absence d’enthousiasme devant ce succès, ce qui nous valut quelques échanges musclés. Qui me valurent quelques mécomptes. La victoire avait alors toujours raison.

Dans cet Euro 2012, l’Allemagne est en passe de revalider le dicton de Lineker. 3 matches et 3 victoires. Les défaites du printemps contre la France (2-1) et la Suisse ont laissé des traces. Bénéfiques. Sans renier ses valeurs, l’équipe de Löw a nuancé son romantisme, pour affermir la protection de son but. La défense grande et forte rassure, avec le gardien Neuer, 1,93 m, avec Boateng, 1,92 m à droite, Hummels, 1,92 m et Badstuber 1,89 m au centre et Lahm, 1,70 m à gauche. Avec Khedira, 1,89 m et Schweinsteiger, 1,83 m (qui sera un joueur marquant du tournoi) au milieu. Avec Muller, 1,86 m à droite et Podolski, 1,82 m à gauche, avec Özil, 1,86 m derrière Gomez, 1,89 m dans l’axe en attaque, l’Allemagne dicte sa taille dans un 4-4-1-1 impressionnant. Mais surtout talentueux. Elle impose certaines vertus chères à Berti, mais aussi beaucoup de qualité créative et technique, valorisée par un goût de risque moins inconsidéré que voici peu.

Selon moi, Joachim a un seul défaut. Il est trop bien peigné pour un entraîneur. Et il n’a fait qu’une faute depuis le début de cet Euro. Son équipe a gagné ses trois premiers matchs. Quand on sait que pour remporter la compétition, qui est bien une Coupe et non un Championnat, il faut gagner toutes les prochaines rencontres à partir des quarts de finale, souhaitons que 6 victoires d’affilée ne soient pas un challenge irréalisable.

Bye , en tot ziens

Dans une rengaine lancinante, la majorité des entraîneurs explique l’insuccès par le manque d’expérience de leurs joueurs.

Quand Rafael Van der Wart, âgé de 29 ans, 18 buts en 97 sélections est entré en jeu, au retour des vestiaires du match contre l’Allemagne à la place de Mark Van Bommel, 35 ans et 10 buts en 79 sélections, j’ai reniflé le problème. Celui de l’abondance de footballeurs renommés et expérimentés. Mark est sorti. Rafael l’a remplacé. Et il a repris le brassard de capitaine enlevé à l’autre.

Bert Van Marwijk, l’entraîneur des Pays-Bas, finaliste de la dernière Coupe du Monde, doit faire preuve de beaucoup de psychologie pour ménager la susceptibilité exacerbée de ses champions. Pour faire respecter la hiérarchie. Pour éviter l’implosion du groupe. Pour valoriser les remplaçants. Il ne doit pas seulement réussir l’amalgame d’un onze.  Pour maintenir la cohésion, il doit valoriser ses remplaçants et éviter la grogne de stars respectées et admirées. En interne et en externe.

La meute orange a deux cerfs dominants. Le capitaine et le capitaine remplaçant. Qui ne se sont pas affrontés pour gagner le leadership. Van Marwijk doit prendre ses douloureuses responsabilités. Et sacrifier un de ses deux chefs. Pour qu’il n’en reste qu’un. Soit il renonce à Van Bommel, rottweiler généreux qui imprime de l’agressivité au côté du pitbull De Jong pour un compromis intéressant entre jeu et combat. Soit il titularise Van der Wart. Avec le risque de perdre le joueur de l’AC Milan définitivement. Et de faire pencher dangereusement  son équipe vers l’avant.

Une autre composition d’équipe, bancale, retient mon attention. Sneijder, 28 ans, 86 sélections et 26 buts, merveilleux talent créatif, mais irritant cette saison dans son individualisme débordant, peut laisser l’axe au profit de Van der Wart. Pour prendre place sur le banc, ou sur le côté gauche et jouer à la place d’Affelay, 26 ans, 40 sélections et 5 buts, peu convaincant en ce mois de juin.

En respectant la tradition hollandaise de football créatif et de caractère, qui nous a émerveillé  pendant des décennies, de Cruyff en passant par Van Basten, Van Marwick ne pourra pas déroger à un 4-3-3 ou 4-2-1-3. Avec Van Persie, en avant-centre, fulgurant en pointe cette saison avec Arsenal, âgé de 28ans, 67 sélections et 29 buts plutôt qu’avec Huntelar, 28 ans, et 31 buts en 54 sélections et meilleur buteur de Bundesliga cette année, qui me paraît un ton au-dessous. Avec Robben et son pied gauche à droite, 28 ans, 59 sélections et 17 buts, parfois énervant, mais aussi génial, plutôt que Kuyt, courageux et équipier modèle, 31 ans, 88 sélections et 24 buts.

L’équipe placée sur le papier, avec une défense classique (là n’est pas le débat), avec un capitaine (il n’y a pas le choix), avec deux milieux défensifs qui ont du chien (voir plus haut) et du ballon, avec 4 joueurs offensifs (que j’ai eu l’audace de nommer), suscite débat et provoque hésitation, voire même malaise. Van Bommel ou Van der Wart ? Sneijder à gauche ou sur le banc ? Robben plutôt que Kuyit, alors que l’élan et l’enthousiasme de l’équipe semblent diffus et atténués ? Plus d’artistes ou plus de guerriers ?

Les Pays-Bas de l’Euro 2012 me font penser à deux équipes.

À celle de la France de la Coupe du Monde au Japon en 2002, qui n’a pas marqué le moindre but en 3 matchs dans le groupe A avec les 3 meilleurs buteurs de leur championnat respectif, soit Cissé (Auxerre) en France, Trézéguet (Juventus) en Italie et Henry (Arsenal) en Angleterre. Ou à l’équipe du Sénégal de la CAN 2012 qui a perdu ses 3 matchs en marquant 3 buts, avec Niang et Sow (Fenerbahçe), Papiss Cissé et Demba Ba (Newcastle), Camarra (Montpellier) N’Doye (Copenhague) et N’Diaye (Arles), soit 7 attaquants de grande qualité.

Le football est un sport collectif dans lequel chaque individu doit trouver sa place et si possible se sentir bien dans le rôle qui lui est confié. Une hiérarchie claire et naturelle facilite l’intégration dans un projet commun. C’était le cas en Afrique du Sud. Van Marwijk semble avoir perdu la clef de l’harmonie. Parce que ses oranges, malgré tout leur potentiel individuel, ont perdu l’énergie nécessaire aux grandes conquêtes. Je risque donc à leur encontre : un « bye, en tot ziens » (au revoir et à bientôt). Au revoir, car je pense que les bataves  perdront la prochaine rencontre contre les lusitaniens, plus fringants. À bientôt, car je me réjouis de revoir leur football chatoyant.

Sans attaquant

Le football est en train de changer. En profondeur. Fondamentalement. L’Euro 2012 va nous obliger à changer nos raisonnements, à bousculer nos stéréotypes et à revoir notre vocabulaire. Contre l’Italie, l’Espagne de Del Bosque, chantre de l’offensive, a joué 74 minutes sans attaquant. Et la squadra azura, positionnée très bas, dans une position d’attente et de contre, a aligné 2 attaquants en permanence, Cassano et Balotelli, puis Di Natale. Comme l’Angleterre de Hodgson, qui a barricadé l’approche de son but avec 2 rangs serrés de 4 joueurs, et qui a positionné 2 attaquants Young et Welbeck, puis Walcott.

Ouvrons notre petit dictionnaire pour redéfinir les mots. Un attaquant est une personne qui attaque. Et dans les sports d’équipe, un joueur placé à l’avant. Une pointe qui pique. Un footballeur qui prend la profondeur, qui fixe la défense, qui déborde, qui dribble, qui centre et qui tire. Qui réussit des actions décisives. Qui aime la proximité du but adverse. Comme Torres, qui est attiré par l’espace derrière la défense. Et qui défend mal. Ce qui me permet d’affirmer qu’Iniesta, David Silva, Xavi ou Fabregas sont des milieux plus ou moins offensifs, très talentueux, voire géniaux. Mais milieux quand même.

L’offensive est une position d’attaque, un assaut d’un adversaire en prenant l’initiative des opérations. Alors comment peut-on encore rester une équipe offensive, ou réputée comme telle, et jouer sans attaquant ? Sans provoquer une levée de boucliers ou une bordée de quolibets. Ce qui relevait du cauchemar improbable voici 30 ans est lentement devenu réalité. Parce que la préparation de ce qui fut une charge décidée est devenue précautionneuse, prudente, sophistiquée, lente, basée sur la possession du ballon pour attendre ou provoquer le moment favorable. Pour avant tout, priver l’opposant de la sphère en multipliant les passes parfois jusqu’à la nausée. Avec parfois aussi, en finale d’action, des éclairs de talent et même de virtuosité.

Résumons notre propos contradictoire. L’équipe défensive joue avec 2 attaquants, pour attaquer vite et verticalement. L’équipe offensive joue sans attaquant, pour attendre l’ouverture, pour étendre le jeu dans sa largeur, avant de frapper dans des petits espaces. Et tentons de comprendre pourquoi Fernando Torres, qui a percuté l’axe central adverse avec enthousiasme et détermination au point de se créer 2 grosses occasions de scorer en un quart d’heure, est resté assis aussi longtemps sur le banc.

La conservation exacerbée du cuir exige vision du jeu, concentration sans faille et technique affinée. Pour avancer dans le camp adverse en toute sécurité, sans crainte du contre. Cette maîtrise du ballon, cette sûreté dans la circulation bannissent la prise de risque inconsidérée, qui fait partie de la panoplie de l’attaquant. L’intelligence manœuvrière poussée à son paroxysme tue la spontanéité et les coups de folie qui rendent le football si attrayant.

Je parie, et j’espère un échec du football 2012 de Del Bosque. Je souhaite le retour de Torres et des bons résultats avec lui. Je milite pour la protection d’une espèce en voie de disparition, celle des ailiers et des avants-centres. Je crois que le futur vainqueur de la compétition, un peu par provocation, mais surtout par conviction possèdera les meilleurs attaquants du tournoi. J’adore Ibrahimovic, sa capacité athlétique et technique. Je suis ébloui par Shevchenko bien appuyé par Voronin. J’apprécie Arshavin, Christiano Ronaldo pour quelques accélérations mal secondées par Postiga. J’aime Lewandovski, esseulé. J’oublie Keane, Bendtner et Gekas. J’évoque Mandzukic et Jelavic, Welbeck et Young, sans vraiment y croire. Mais les meilleurs attaquants sont allemands avec l’énorme Gomez soutenu par Özil, avec Podolski et Müller pour l’encadrer, avec Klose en réserve. Ils sont français avec Ribéry virevoltant, Benzema collectif et buteur, avec Giroux, un avant-centre redoutable et très complet sur le banc. Ils sont hollandais avec l’excellent Van Persie et le percutant Robben, avec Kuyt et Huntelaar susceptibles d’entrer en jeu.

Même si les premiers résultats infirment cette intuition, je vois l’Allemagne, les Pays-Bas et la France avancer très loin dans la compétition, avec les pays de l’ex-URSS qui jouent à domicile. Je mets une pièce sur l’Italie. J’élimine l’Espagne. Par répression. Le risque est considérable. Je l’assume. Je suis attaquant.