Porte ouverte au doute

Parfois la perte de mémoire arrange bien les choses. Je ne me souviens pas d’avoir été défait 7 à 1. Ni comme joueur. Ni comme technicien. Et surtout pas à domicile. Un à sept. Comme la Roma de Rudi Garcia et de Gervinho, hier soir, que j’ai côtoyé au Mans. Que je suis avec affection.

J’avais trouvé l’équipe de la capitale en progrès dans son duel au sommet perdu 3-2 à Turin contre la Juventus. Avec de la qualité de jeu et de comportement. Avec plein de confiance en soi et de certitudes. Qui risquent d’être balayées par ce revers cuisant.

La partie été entamée avec ces ingrédients positifs. Jamais Yanga-Mbiwa ne m’avait paru si serein, clairvoyant, et lucide. De ces vertus que le « Mister » sait si bien insuffler à ses protégés. Volonté de jouer, d’attaquer, de posséder le ballon ont été étouffé par le pressing du Bayern. L’avis de tempête s’est transformé en tsunami bavarois. Qui emporte tout sur son passage avec sa qualité individuelle et son sens collectif. Qui oblige a de lourds travaux.

Une des caractérisques majeures de Rudi réside dans sa force de conviction pour consolider les egos, leur faire prendre conscience de toute leur dimension. Il aura fort à faire après cette débâcle. Inventer les mots justes. Ne pas douter de lui-même. Vu sous cet angle, le prochain match sera excitant. Pour les observateurs.

Comment battre l’Espagne ?

Le football est un sport qui se joue à 11 contre 11, qui dure 2 X 45 minutes, plus les minutes de temps additionnel. Et qu’il faut gagner en marquant un but de plus que l’adversaire. Ou en recevant un de moins. Selon votre caractère, votre éducation, vos capacités et vos idées. Entre autres. En utilisant tous les moyens autorisés par les lois du jeu et l’interprétation qu’en fait l’arbitre.

Le kick and rush, (jeu long et course derrière le ballon) faisant avant tout appel à la force et au courage, m’a toujours répugné. Probablement parce que je n’aurais jamais pu m’illustrer dans un style privilégiant la débauche d’énergie plutôt que la subtilité. Mon Graal (celui que l’on recherche et que l’on ne trouve jamais) de mon football (technique, intelligence et possession du ballon) a été dépassé par l’Espagne. Cela m’indispose. Parce que finalement le cerveau peut pousser au calcul. Lorsque dans un match de l’Euro, les rouges et bleus réussissent 150 passes de plus que les 600 de moyenne effectuées en Afrique du Sud, en tirant moins souvent au but que 2 ans plus tôt, cela signifie que ses intentions ont changé. La possession de la sphère devient obsession. Qui exclut la prise de risque, le déchet et la générosité qui enflamme le spectacle. Qui paralyse l’adversaire et la rencontre. Le style devient manie, idée fixe, maladie, maniaquerie.

Le football mondial et européen est devenu un vaste laboratoire de recherche. Pour battre l’Espagne ou Barcelone. Pour trouver LA solution. Le contrepoison absolu. La démarche de Prandelli en finale et lors du premier affrontement m’a séduit. Elle a permis le spectacle. Donné un espoir de victoire plutôt qu’un refus de défaite. En multipliant les tentatives de tir au point de permettre à Casillas de devenir un des héros de la finale. Face à l’absence d’attaquant ibère, l’Italie a essayé de jouer haut (idée que je préconisais dans une précédente chronique). Au point d’être battu dans la profondeur par Fabregas en course longue à la lutte avec Chiellini (blessé) lors du 1-0. Et en contre sur une attaque de 60 mètres terminée par le latéral supersonique Alba pour conclure le 2-0. Au point d’être à égalité de possession du cuir à ce moment fatal du match.

Pour contrer le pressing étouffant et les surnombres défensifs habituels des Espagnols, Cesare avait décidé, comme lors de la première confrontation, de trouver rapidement ses deux attaquants Balotelli et Cassano, égoïstes et personnels à la finition (au contraire de l’esprit collectif des joueurs offensifs d’en face) pour couper l’Espagne en deux. Et pour leur apporter un soutien rapide empêchant une bonne réorganisation de la défense. Avec la seule réussite de tirer très souvent au but. Sans marquer. Dans une absence de réalisme italien loin de sa tradition.

Pour gripper la circulation adverse, comme jamais, j’ai senti la volonté d’anticiper la trajectoire de passe en avançant, en osant ouvrir à Iniesta et ses frères des angles de passes favorables dans la profondeur et la possibilité de démontrer la justesse de leur sens du jeu. Pari perdu. Mais bien tenté. Par manque d’efficacité offensive. Parce que,  dans l’autre direction de la joute, la précision millimétrique des passes de Pirlo  est devenue simplement métrique après la récupération du jouet. Parce que l’ouverture du jeu par une pression haute a provoqué un déchet technique inhabituel chez les Barcelonais et Madrilènes réunis, sans offrir de vraies situations de contres. Parce que le score défavorable aux azzuris offrait un confort psychologique que les joueurs de la « roja » n’auraient pas connu en étant menés.

Le football reconnaissant offre une couronne de laurier à Césare Prandelli. Qui nous a permis de nous extasier à nouveau devant le talent d’Iniesta et ses réponses majoritairement justes aux situations de jeu. Nous pouvions à nouveau déguster ce sens collectif jamais bafoué, ces premiers contrôles orientés idoines, ces changements de direction déroutants, ces touchers de balle onctueux, ces visions périphériques en 3D, ces passes judicieuses de Busquets, Xavi, Alonso, Sylva et Fabregas. De Sergio Ramos, qui séduit dans l’axe. D’Alba, un découverte pour moi. Pour nous pâmer devant cette humilité invariable dans le comportement et de la rentrée réussie de l’attaquant Torres. Cette maîtrise constante peut irriter parce qu’elle empêche le débat contradictoire.

Mais comme souvent, nous ne connaitrons jamais la vraie réponse. Est-ce que l’Espagne peut être ennuyeuse parce qu’elle refuse toute prise de risques ou parce que son contradicteur n’essaie même pas de la contrarier ? Et s’oblige à garder le ballon pour la faire sortir de son terrier. L’Italie, qui a terminé le match à 10, a donné une mauvaise réponse en perdant 4-0. Personne ne voudra les imiter. Dommage. La finale a atteint des sommets d’esthétisme. Car une symphonie se joue à 2.

Forza Italia

L’ample drapeau vert, blanc, rouge qui vêt un bout de façade de son habitation n’affiche aucun sentiment de rejet de sa nationalité ou l’envie d’une provocation revancharde. Fabrice est bien français, même si son nom, Favetto-Bon, exhume une origine transalpine, qui n’a pas forcément dû être toujours facile à porter pour une autre génération de sa famille émigrée. Le David de Michel Ange de la Piazza della Signoria, imprimé sur son tablier qu’il porte, avec des proportions adaptées à une illusion d’optique troublante, procède du même humour badin. Les couleurs des brochettes de tomates cerises, mozzarella et basilic soulignent discrètement le clin d’œil organisé pour l’événement, comme les spaghettis all’arrabiata, et la grappa parfumée et chaleureuse. Avec une rasade pour Prandelli et le spectacle offert. Et un verre pour fêter une victoire méritoire contre une Allemagne joueuse et généreuse. Que je ne renierai pas, même dans la déconfiture !

La défaite de 3 – 0 de la squadra azzura en match de préparation à l’Euro contre la Russie, dans une ambiance plombée par de multiples problèmes et polémiques, dont des soupçons de corruption qui pèsent sur le Calcio, paraissait compromettre les chances d’une équipe assaillie de doutes et d’attaques nauséabondes. Comme souvent, les soucis ponctuels ont permis au flamboyant Cesare Prandelli, de créer une unité forte face à l’extérieur et de faire diminuer la pression qui tombe immanquablement sur les favoris. L’Italie n’avait plus rien à perdre, puisque selon l’opinion de la presse, elle ne pouvait rien gagner.

J’ai goûté sa première confrontation du tournoi contre l’Espagne. Qui nous donne quelques indications pour la Finale d’aujourd’hui. Lors d’affrontements par match aller et retour, le premier match influence obligatoirement le second. Par son résultat, bien sûr. Mais aussi par un rapport de force qui s’est créé. Par un impact psychologique. Par une meilleure connaissance de ses possibilités et celles de l’adversaire. J’ai ressenti le nul 1 à 1 comme un score équitable. Chez les Azzuri, j’ai noté du panache, de l’envie, du jeu vers l’avant et une solidité « made in Italia » dans les duels défensifs. J’en ai vu assez pour me dire : « wow ! Il faudra se méfier des spaghettis ». La défense à 3 contre les « toreros » m’a interloqué, interrogé et convaincu. Dans la phase défensive, cette organisation de jeu a permis de serrer les Ibères de très près. À réduire ces intervalles dans lesquels ils se baladent, tournicotent, hypnotisent et étouffent l’adversaire. Habituellement les « castagnettes » dictent le jeu, imposent leur loi, règnent sur les débats. Pas cette fois-là. Viva Italia ! Match il y a eu. Match il y aura, ce soir. Et peut-être même une belle Finale.

Car la « squadra » possède de beaux atouts, que je redécouvre, après leur brève période d’hibernation. Buffon est redevenu le grand gardien qu’il fut, invincible, même avec ses barrettes dans les cheveux. Les défenseurs centraux Chiellini, Bonucci et Barzagli sont dignes de leurs racines. Sangsues, pieuvres. Intransigeants dans les duels au sol et aériens. À qui peut s’ajouter le couteau suisse, le multicarte qui sait tout bien faire, de Rossi. Tour à tour, milieu de terrain ou central. Les latéraux, Abate et Balzaretti sont attirés par les grandes chevauchées offensives, mais savent défendre comme des chiens. Avec l’apport de Maggio, milieu mobile, Prandelli trouve toutes les solutions pour moduler ses schémas tactiques variables. Avec 2 défenseurs centraux ou 3, avec plus ou moins d’esprit offensif sur les côtés, dans une recherche d’équilibre selon les forces et faiblesses du contradicteur. Motta, participe, parfois à cette quête de complémentarité. Marchisio toujours présent et complet dans tous les registres se montre indispensable. Si j’ai un faible pour les coups de patte de Montolivo, je suis sous le charme du danseur étoile Pirlo. Sa légèreté, son style aérien, son élégance font oublier qu’il est le meilleur récupérateur de ballon de la compétition. Sans paraître y toucher, il dépossède son adversaire direct du ballon, médusé par tant d’anticipation et d’intelligence. Quand il conduit le cuir, il rejoint Rivera et Antognoni dans le gotha des maîtres. Son premier contrôle est infaillible, sa passe millimétrée, ses contre-pieds décisifs et son tir meurtrier. Digne du meilleur joueur du tournoi.

Que Cesare tire le maximum des caractériels Cassano et Balotelli (qui a dit que le génie frise la folie ?) démontre le grand sens managérial de Prandelli. Qui préserve ainsi l’incisif buteur Di Natale (34 ans) pour des rentrées en étincelantes. Qu’il en soit récompensé !