La panne de Jo

Sur le terrain, pas d’équivoque. Les meilleurs ont gagné. Proprement. Avec classe (Federer contre Gasquet). Avec talent, détermination et puissance (Federer-Wawrinka contre Benneteau-Gasquet). Avec sang-froid, courage, stratégie et précision (Monfils contre Federer). Avec sérénité, intensité et vigueur (Wawrinka contre Tsonga).

La défaite de Jo contre Stan a pris des proportions hors de propos. La mine fermée et abattue de Tsonga après le revers m’a semblé malvenue, démesurée. Nous n’en connaîtrons jamais les vraies raisons. La plus présentable reste l’hypothèse de la blessure. Qui deviendra l’argument officielle. La plus incontestable. Et qui explique la communication incertaine du clan français. Pour embrouiller l’adversaire suisse. Pour ne pas lui offrir d’indice solide pour préparer les différents duels. Pour faire jaillir un joker inattendu au dernier moment plutôt qu’avouer le forfait du numéro 1 bleu. Je peux le comprendre. Entraîneur, je l’ai tenté moi aussi.

A posteriori, après l’insuccès français, le flou des mots a provoqué malaise et interprétation des événements. Les joueurs, le capitaine, ressortent affaiblis de la perte de la Finale de Coupe Davis. L’unité du groupe semble fragilisée. Ce qui gêne plus qu’une défaite contre plus fort que soi. Dans les classements ATP et sur le court.

La face déconfite de Tsonga après l’échec m’a meurtri. J’ai été manceau. Rencontré son charmant papa. Vibré à ses exploits. Mais peut-être que son ambition personnelle et les rêves de gloire d’une nation étaient trop lourds à porter. Ou qu’une préparation trop longue n’est pas favorable, car elle oblige à se focaliser trop fort et trop tôt sur l’objectif. Ou parce que le premier match était chargé de trop certitude et d’importance. Et que hors du scénario idéal avec une victoire d’entrée, le sort de la rencontre était joué. Ce qui s’est révélé exact. Mais qui aurait pu se montrer faux.

Égalité

Le sport, le tennis, et surtout la Coupe Davis offre des scénarios étonnants. C’est pour cela qu’on l’aime. Nous attendions plutôt des victoires des numéros 1 contre les numéros 2. Et c’est le contraire qui s’est produit. Wawrinka a dominé Tsonga. Monfils a écrabouillé Federer. Dans un premier temps, la France souffre de migraine. Dans un deuxième, la Suisse s’inquiète fortement. Roger, que l’on veut invincible du côté de Genève et Zurich, flageole. Et tous les pronostics s’affolent.

Les experts annonçaient Stan comme un fébrile chronique. Il s’est montré solide comme un roc. Tsonga, le guerrier, n’est jamais parvenu à entamer le combat. Federer, l’enchanteur, n’a réussi aucun tour de magie. Monfils, le fantasque a démontré une régularité robotique chargée d’émotions positives.

Selon moi, le double était acquis aux français. Chiudinelli, le seul helvète à préparer l’ échéance, n’a pas la dimension planétaire de l’événement. Mais une évidence s’impose à moi. Le Federer de vendredi n’a aucune chance de gagner dimanche un des points décisifs. Il manque de jambe, de fluidité dans les gestes, de certitudes sur terre. Il a pourtant trop joué cette année et les repaires sur l’ocre de Lille lui font défaut. Il doit, il va affronter les bleus en double pour dérouiller son corps, retrouver peu à peu ses meilleurs coups et son coup d’œil laser.

Wawrinka sera aligné à son côté. Il respire la forme et la confiance en lui. Lüthi rebâtira le duo d’or olympique. Par obligation. Par superstition.

L’incertitude subsiste. Les spectateurs seront gagnants. Vive la Coupe Davis.

Le dos de Roger

Voici une quinzaine de jours, lors du tournoi de Bercy, les journalistes français demandaient avec insistance à Federer, si son programme de fin d’année n’allait pas être surchargé. 6 victoires et une défaite plus tard, après des succès dans les tournois de Shanghai et de Bâle, Roger coince. Ou plutôt son dos.

Certains lui reprocheront sa boulimie de titre. Pas moi. Et sa conséquence douloureuse. Le Suisse a renoncé à la Finale du Masters. Et on s’interroge au sujet sa participation à la Finale de la Coupe Davis. Va-t-il jouer ? Et si oui, dans quel état ? Avec quelle préparation sur terre battue ?

Le surmenage peut déclencher des problèmes mécaniques, même chez un athlète harmonieux comme Federer. Mais je pencherais plus pour un blocage psychosomatique après le duel âpre, épique et autodestructeur contre son coéquipier Wawrinka. « La personne ayant mal au dos à l’impression de devoir trop endosser. Parce qu’on lui en demande trop, ou parce qu’elle-même est trop exigeante, elle s’encombre de fardeaux trop lourds pour elle. »

L’attente de tout un pays pèse sur le numéro 2 de l’ATP, Roger, pas sur le numéro 4, Stan. C’est à lui de ramener le saladier. Pour tout un peuple. Pour lui, qui rêve tant de remplir sa vitrine de tous les trophées. La pression sur lui est démesurée. L’esprit fait disjoncter le corps. Et le poids de l’expectative recommence à être supportable. Convalescent, mal préparé, il retrouve le droit de perdre. Et le Maître redevient encore plus humain. Avec ses petites faiblesses. Qui me le rendent encore plus sympathique.

Tie-break

Un œil sur France-Australie. Enthousiasmé par le dynamisme des bleus, trop peu récompensés de leur ascendant manifeste. Avec une émotion intense dans les dernières minutes quand les wallabies menacent de revenir au score.

Un œil sur le tennis. Neutre. Suisse. Federer vs Wawrinka. Entre Suisses avec la perspective de la finale de Coupe Davis. Qui se profile. Avec le verre déformant d’un événement qui ne se vit qu’au travers de celui qui va se avoir lieu dans une semaine. Avec des garanties du côté de Federer. En grande forme au Master de Londres. Aérien. Harmonieux. Élégant. Au point d’en faire oublier son mental de Champion. Avec des incertitudes chez Wawrinka. Victorieux contre Berdych et Cilic. Balayé par Djokovic.

Stan déroule son tennis. Serein. Imperturbable. Sûr de ses coups. De sa force. Roger subit. 6-4.

Roger commet peu de fautes. Revient dans le match. Sans réussir à déclasser son adversaire du jour. Combat il y a. Serré. Âpre. Beau spectacle. 7-5 pour le Bâlois.

Stan commence le troisième set en breakant son futur coéquipier. Il fait la course en tête. Federer revient très fort. Jeu de 8 minutes pour égaliser à 4-4. Sans succès. Wawrinka sert pour le match. Avec 4 balles pour l’emporter. Le mental de Roger impressionne. Son visage reste impassible, pas marqué par le long et dur défi. Celui de Wawrinka bout. Rougeyant. Marbré de taches blanches. Bouffi par l’intensité ? Mais l’œil ne démontre aucun moment de doute ni de faiblesse. Federer égalise. Pour finalement l’emporter au tie-break. Au bout d’un suspense ardent, irrespirable.

Le sport comme on l’aime. Les Helvètes sont en forme. Sans garantie pour la finale de la Coupe Davis. Qui offre souvent des matches à rebondissements.