Magie noire

L’exploit sportif parvient à nous émerveiller. De façon récurrente. La Coupe du Monde de rugby à XV m’a particulièrement intéressé. Par le panache des vainqueurs néo-zélandais. Mais pas seulement. J’ai aimé la victoire du jeu ouvert et spectaculaire, mais aussi plein de matches vivants.

Le sport collectif s’abreuve de trois vertus. L’état d’esprit, l’organisation de jeu et la condition physique. Qui s’imbriquent l’un dans l’autre. Une forme athlétique éclatante ne sera valorisée que dans un groupe bien en place, sans trou dans son placement. L’esprit de solidarité qui anime les membres d’une troupe ne récoltera des résultats positifs qu’en ne flanchant jamais dans les derniers moments.

Philippe Saint-André, mentor du 15 de France, avait tout juste sur les basiques du sport d’équipe. Le XV du coq avait la force, la puissance, l’endurance pour résister pendant toute la durée du combat. Il était remarquablement placé défensivement et son courage frôlait l’héroïsme. Il avait oublié le jeu. Fait de technique, de créativité, d’initiative, d’automatisme, d’improvisation et de talent balle en main.

Les All Black avaient tout dans leur arsenal. L’audace, la bravoure, le cœur, le cran, la hardiesse, le mépris du danger, la témérité, une vaillance hors norme dans les duels défensifs et offensifs. D’accord. La discipline de même. Le respect des règles de jeu. Du schéma tactique. De l’adversaire. Aussi. Mais plus que d’autres, ils ont réussi à marier force et vitesse, jeu collectif et exploit individuel, routine et inspiration. Quatre actions symboliques s’imposent à moi. Qui glorifient le pouvoir enchanteur de la magie noire.

Savea explose 3 tricolores venus le plaquer avant de marquer un essai. Nonu s’extirpe de la masse pour placer une accélération suivie de changements d’appui dévastateurs avant de poser l’ovale derrière la ligne. Carter réussit un drop de quarante mètres, sans élan contre l’Australie. Et ouvre commune pour le premier essai en finale. Où l’inspiration individuelle se met au service du collectif.

Les All Blacks ont réussi le mariage du talent et de la rigueur, du cerveau et du cœur, du pied et des mains, de la fantaisie et de la discipline. Qui pour une fois ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.

Amical

Pendant une trêve internationale, alors que les internationaux s’affrontent dans un engagement féroce, les joueurs restés dans leur club se mesurent lors de rencontres amicales. Pour travailler des automatismes, pour conserver le rythme, pour donner du temps de jeu à ceux qui en sont le plus dépourvus. Dans tous les sports collectifs.

Pendant que l’équipe de France de football se montrait convaincante contre l’Arménie, puis réussissait un début tonitruant contre le Danemark, alors que l’équipe nationale de volleyball terrassait les 6 Italiens au terme d’un cinquième set échevelé et que les rugbymen se faisaient finalement concasser malgré leur vaillance hors-norme, je suis allé voir le SC Albi (club de Pro 2) se confronter au Stade Toulousain. En rugby. Et qui par bien des aspects, me rappelait le ballon rond. Comme joueur, entraîneur ou dirigeant.

Un public nombreux, bon enfant et peu supporter, attendait le plus beau palmarès de balle ovale au monde qui présentait quelques professionnels de grand renom. Bien sûr, dans la tête de la majorité des présents, acteurs comme spectateurs, le résultat était convenu. Et confirmé par le début du match. Le Stade Toulousain dominait. Sans forcer. Comme à l’entraînement. Albi s’accrochait. Avec vigueur, courage, détermination. Avec culot. Au point de provoquer des pénalités chez les rouges et noirs, pas toutes converties (5 tirs tentés pour 3 réussites et 9 points à 0 à la mi-temps). Toulouse explorait le jeu et les grands espaces. Albi le combat et le score. Au fil des minutes, imperceptiblement, l’ascendant psychologique changeait de camp.

Le Stade jouait les pénalités à la main. Systématiquement. Sans succès. Par consigne, thème de travail ou négligence ? Par suffisance ? En croyant qu’un simple coup d’accélérateur réglerait l’affaire ? Puis commençait à s’énerver, à chercher la bagarre, à récolter des cartons jaunes (2). Le match avait basculé au profit des Tarnais. Définitivement. Le résultat final 19-14 en faveur des jaune et noir reflétait bien la rencontre, malgré deux essais haut-garonnais, dont un à la dernière seconde.

Une fois de plus, en rugby comme dans tous les sports, la victoire offrait la même leçon au plus fort. Sans un investissement absolu, sans une mobilisation extrême, sans une concentration optimale, sans une agressivité sans réserve, sans une envie totale de vaincre, le revers devient possible, voire probable.

Deuil national

Lecteur assidu de l’Équipe, je constate que rarement la première page évoque un événement de portée internationale qui ne concerne pas la France ou un Français. C’était le cas samedi. Pour annoncer le défi périlleux du 15 à la rose contre l’Australie, les rugbymen anglais, revêtus de leurs survêtements frappés du mot « England » s’avançaient au-devant d’une flamme. BRÛLANT.

Bien sûr j’ai admiré le combat singulier des « rosbifs » contre les « wallabies ». Comme j’avais vu leurs déboires contre le pays de Galles. Avec délectation, impatience, inquiétude, nervosité et tension. Comme on regarde un match à enjeu. En prenant parti. Contre le pays inventeur de tous les sports extraordinaires qui nous font vibrer, encore et encore. Sans raison bien déterminée, je l’avoue honteusement.

Après un « God save the Queen » d’anthologie chanté par Twickenham, à offrir des frissons (ils sont merveilleux ces angliches) la partie commence dans une ambiance indescriptible. Par deux erreurs grossières des locaux en 3 minutes. Qui font basculer la rencontre dans le mauvais sens. Qui démontre l’effet dévastateur d’une pression populaire imparfaitement domptée. Qui annonce les prémices d’un revers.

Un coup de pied mal maitrisé qui renvoie au point de départ, c’est à dire près de son en-but, puis une faute de jugement et un pied sur la ligne à la suite d’un dégagement adverse qui donne la touche à l’adversaire, pas loin de ses poteaux.

L’Australie marque. Pénalités. Essais. L’Angleterre, malgré son courage, sa volonté et son impact physique, paraît impuissante.

Un brillant essai de Watson à la 56e et une pénalité réussie de Farrel à la 65e relancent le suspens. 13 à 20. À portée d’un essai transformé. Nouvelle incertitude. De celles qui font passer de belles soirées. Pendant 6 minutes. Avant la sortie de Farrel, impeccable au pied, pour un carton jaune suite à une charge illicite. Restent 9 minutes. Interminables. 13-33.

Pour la première fois de son histoire, l’Angleterre est éliminée d’une Coupe du monde avant la phase finale. Humiliation supplémentaire, c’est la première fois dans l’histoire de la compétition que le pays organisateur est éliminé à l’issue de la phase de poules.

Soir cauchemardesque. Mais le plus dur commence. Pour le sélectionneur Stuart Lancaster : « Nous sommes dévastés » et pour son capitaine Chris Robshaw : « Nous avons l’impression d’avoir laissé tomber le pays ». Qui seront marqué à vie. Au fer rouge. Excommuniés. Rejetés. Lynchés. Guillotinés. Le peuple, la nation ont besoin de boucs émissaires. Ils sont déjà trouvés.